Texte par Philippe Pailhories // Photographies par Guilhem Canal
Tout le monde connaît Josy. Ses grands yeux noirs et fiers. Ses cheveux de jais. Sa vitalité. Ses coquetteries. Sa main de fer dans un gant de velours. Josy a 74 ans mais ça n’a aucune espèce d’importance. Elle est la capitaine des Major’s Girls, une troupe de majorettes créée en 1964 par sa mère, Suzette, féministe avant l’heure, dans le cadre des lendits, grandes manifestations à la gloire des pratiques sportives dans l’école laïque. Elle avait quinze ans lorsque Suzette, directrice de l’école Paul-Painlevé à la Pompignane, a eu l’idée de rassembler 48 jeunes filles pour présenter un numéro de majorettes sur le terrain du Pont-Juvénal. Elles portaient des bottes de pluie blanches, des costumes de papier et les bâtons étaient taillés dans de vulgaires morceaux de roseaux.
Tout le monde connaît Josy. Championne de France de volley avec l’ASPTT Montpellier, internationale entre 1970 et 1973 sous la férule de Françoise Spinosi qui avait su, elle aussi, fortifier les relations entre les joueuses et développer un réel esprit de coopération et d’amitié entre elles. Tout le monde connaît Josy. Vedette du petit écran. Elle a eu les bonnes grâces de Jean-Pierre Pernaut « Combien ça coûte », Claire Faure « Vis ma vie », Evelyne Thomas « C’est mon choix » ou Christophe Dechavanne « Qui sera le meilleur ce soir ? ». Deux courts métrages relatent également l’histoire des Major’s Girls : Majorette un jour, majorette toujours de Gilles Favier, et Le défilé d’une vie de Sohée Monthieux. Toutes les images racontent l’amitié, l’engagement, les émotions, les voyages. Le festival international du cirque à Madrid, Louisville, Tibériade, Wembley, bien sûr, et ses 70 000 spectateurs… « Notre parcours reste pourtant étroitement lié à l’Espagne, concède-t-elle. La première fois, c’était à Barcelone en 1966. Les Espagnols n’avaient jamais vu de filles en mini-jupes lever les jambes en public ! »
“ Affirmer une forme de liberté, une indépendance d’esprit ”
La vérité, c’est que tout le monde ne connaît pas Josy, non. Depuis le mois de juin de l’année dernière, elle est aussi danseuse. Danseuse contemporaine. C’est en tout cas comme ça que la décrit le directeur artistique de la pièce qui la met en scène et qui s’intitule, évidemment, Majorettes. Mickaël Phelippeau a depuis toujours été fasciné par ce monde féérique qui convoque différentes réalités, du défilé quasi militaire dans la rue, à la musique jouée par une fanfare, en passant par les costumes de parade aux couleurs chatoyantes. Lorsqu’il a rencontré Josy, il a décidé de s’attaquer aux stéréotypes conservateurs quant à l’image de ces femmes, à la fois aguicheuses et strictement disciplinées. S’attaquer à l’image d’une discipline de la culture populaire dédaignée, tantôt jugée ringarde voire de mauvais goût, gentiment désuète en tout cas.
Josy ne se voit pas comme une danseuse. Plutôt comme une artiste. Ce n’est pas vraiment une histoire de majorettes qui se dessine dans Majorettes, mais bien leurs histoires à elles, les douze interprètes, à travers leurs récits, leurs pérégrinations. Une bonne partie du spectacle consiste ainsi à brosser, de vive voix, cette épopée, une aventure à nulle autre pareille, livrer cette complicité joyeuse, égrener anecdotes et souvenirs, confesser quelques états d’âme quant au vieillissement de ces corps défiant les canons stéréotypés d’une supposée perfection féminine. La moyenne d’âge de ces demoiselles est de soixante ans. Elles ont une tonne d’expériences à transmettre, et tout pour susciter l’intérêt. Cette pièce existe d’ailleurs, aussi, pour affirmer une forme de liberté, une indépendance d’esprit, pour combattre les préjugés.
Entre danses de groupe et prises de paroles individuelles, sur huit versions différentes de Fade To Grey du groupe de new wave britannique Visage, le temps qui passe transparaît dans des évolutions d’une incroyable vitalité. « Il y a trois volets, s’emporte Josy, un premier très proche de notre activité, que j’ai chorégraphié, un second, plus intime et très touchant, puis un duo mère-fille suivi d’un solo bâton. Sincèrement, nous avions tendance à nous encrouter un peu, et cette aventure nous redonne un coup de fouet. » Josy concède qu’elle a dû prendre sur elle pour passer du bitume aux planches, de l’hégémonie au partage. « Aux majorettes, dit-elle, tout passe par moi. Là, nous sommes prises en charge de A à Z, comme de véritables artistes, et il faut savoir appréhender ce nouveau monde ainsi que les attentes de Maya. »
Elle demeure, bien sûr, la capitaine, elle a toujours son mot à dire, et un lien d’amitié et de respect s’est même tissé avec, donc, « Maya », le surnom de Mickaël Phelippeau « parce qu’il est toujours habillé de jaune ». Sans doute parce qu’il a su exposer les Major’s Girls dans leur virtuosité, puis les amener vers d’autres formes d’expression chorégraphique, comme une revanche, peut-être, contre tous ceux qui n’ont que très peu de considération pour leur art. Dans Majorettes, elles apparaissent en tant que femmes singulières, unies par une passion commune, une amitié indéfectible, touchantes évidemment, résolues à vivre pleinement cette vie et à se moquer du temps qui passe.