Texte par Marie Gineste // Photographies Guilhem Canal
« Tout a commencé avec Boule et Bill, Astérix… et une sérieuse dose d’ennui chez mes grands-parents, » confie-t-il, un sourire dans la voix. Le dessin, pour Dadou, est plus qu’une passion ; c’est une vocation. David Bouono, de son vrai nom, a tracé son chemin dans l’encre et le rire, s’inspirant des grands maîtres de la bande dessinée franco-belge et des super-héros américains pour forger son propre style. « Dans ma famille, on m’a toujours offert des BD. J’ai appris à lire sur des Boule et Bill. Et puis en grandissant, j’ai étoffé ma collection. Superman, Batman, Astérix, Gaston… C’est devenu une passion et j’ai commencé à dessiner en refaisant mes BD. Je passais mon temps à faire ça, » confie Dadou. Mais c’est dans les marges de ses cahiers d’école, entre deux blagues griffonnées, que Dadou trouve sa voie. « Adolescent, je caricaturais les profs, les copains… Ça m’a forgé une patte, et surtout, un humour, » raconte-t-il. L’anecdote de son premier personnage, un camarade de classe à la destinée rocambolesque, est révélatrice de son talent naissant pour la caricature, prémisse de son style unique qui le distinguerait dans les années à venir.
« Après le lycée je suis allé à la Fac, je ne connaissais rien au métier de dessinateur. Je dessinais mais je ne pouvais pas en vivre, pendant 10 ans, j’ai travaillé dans la restauration pour avoir un plan B. » Une expérience qui le mue en observateur aiguisé de la société. « Cela m’a offert un panorama unique sur la comédie humaine, une source d’inspiration inépuisable sur la réalité de notre société et de la France. » Une double vie, qui loin de l’éloigner de sa passion, enrichit son regard et affine sa plume, lui permettant de saisir l’essence de la vie quotidienne et de la retranscrire dans ses œuvres.
L’année 2006 marque un premier tournant décisif : Dadou commence à collaborer avec le Midi Libre Sète. « Je crée le personnage de Rocco, mais je n’en vis pas. Je progresse et j’atteins le niveau que j’avais espéré. En 2010, j’avais déjà dû faire plusieurs dizaines de dessins sur Nicollin mais comme ça. Je dessinais sur des blogs à l’époque. Louis Nicollin était à la cherche de dessins pour s’amuser. Et il a tout pris. Pour la première fois, j’avais un chèque, avec 2 ou 3 mois de salaire devant moi. Le 31 décembre 2010, je prends la décision de quitter mon emploie et de me donner un an pour réussir. Au bout de quatre mois, Montpellier se retrouve en finale de la Coupe de la Ligue contre Marseille. Et pour la première fois, on reparlait de Louis Nicollin dans les médias, » se rappelle Dadou. « Mais ils ne montraient que le côté vulgaire et grossier de loulou. Je trouvais ça con parce que je savais que Louis c’était quelqu’un d’hyper généreux. J’avais beaucoup de respect et d’admiration pour lui. J’ai commencé à me remémorer les moments importants du club, des années 90 avec Valderrama…À chaque fois je trouvais un gag ! C’est là que je me suis dit : « il faut que tu fasses une BD sur Nicollin avant que quelqu’un d’autre ne le fasse et mal ». Pendant trois mois, David travaille jour et nuit. « Je me souviens je suis arrivé dans son bureau, je lui ai montré les planches. Ça l’a fait mourir de rire. Il a dit, c’est bon, fais ce que tu veux. » La BD, est un succès immédiat, établissant Dadou comme une référence dans le monde de la caricature sportive. « J’ai vécu un rêve. Loulou me prenait partout. J’ai vécu le titre avec tous les joueurs. Jusqu’à sa mort, il m’a pris partout ».
Son talent ne tarde pas à être reconnu et le conduit à illustrer les grands événements sportifs, de la Coupe du Monde de football aux Jeux Olympiques, en passant par le mythique Tour de France sur Eurosport. Et puis il y a eu Charlie Hebdo. « C’est là que j’ai vu le monde changer. C’était la fin de la récréation. On a fermé un chapitre de l’état d’esprit en général du pays français…je l’ai pris dans la gueule. Au début, les gens sont allés dans la rue, j’ai pensé qu’ils avaient compris qu’il fallait se battre pour la laïcité, la liberté d’expression…En France, nos ancêtres sont morts pour ça. Et en fait, pas du tout », confie-t-il, soulignant les difficultés croissantes à exprimer librement sa pensée dans un monde en mutation. « On a commencé à plus avoir le droit de faire ceci ou cela…on a commencé à s’auto-censurer…Même moi je me censure en fonction du média. C’est-à-dire que sur Twitter c’est terminé, je ne mets plus rien. Pour la finale de la Coupe du monde de foot, après France-Argentine, j’ai fait un dessin, Je me foutais de la gueule du gardien de l’Argentine. Le dessin a eu énormément de succès en France. Je n’avais jamais connu ça. Mais Adil Rami, l’ancien joueur, a commencé à partager et à chauffer les Argentins. Cela a été repris par une télévision du pays, qui a montré mon dessin, qui a montré mon pseudo, et là je me suis fait défoncer. J’avais des menaces de mort, des insultes, des photos de frères Kouachi, des photos de Charlie Hebdo…C’était super violent. Être dessinateur de presse, c’est aussi ça. C’est se taper tous les jours toute la merde du monde. »
Entre anecdotes croustillantes et réflexions profondes, Dadou incarne cette génération d’artistes pour qui l’humour est à la fois une arme et un baume, un moyen de résister et de persister. L’année 2024 s’annonce riche pour Dadou. Entre les Jeux Olympiques de Paris et les 50 ans du MHSC, son agenda est rempli de projets excitants. Alors avec son crayon tel un compas, il navigue sur les tumultes de notre époque, esquissant un sourire sur le visage du monde, une bulle à la fois.