“ DAIHYŌ KANTOKU ”

Philippe Blain
Enfant de Montpellier, au gabarit rassurant, Philippe Blain aurait pu tout aussi bien faire carrière dans le rugby ou le football. Il choisit finalement le volley. De Montpellier à Tokyo en passant par l’Italie et la Pologne, l’itinéraire de cet enfant de la balle est sans équivalent.

À la table des Blain, le dimanche, trois générations peuvent discuter de rugby, le sport familial de référence que ce soit à 15 ou à 13.  Pourtant les hasards de la vie conduisent le père, à la suite d’un grave accident de voiture, et le fils, parce que l’ambiance conviviale l’été venu lui convient mieux, à s’investir dans le volleyball.  Le père, Jean, après une carrière de joueur, devient à 26 ans président du MUC Volley. Une aventure de 30 ans durant laquelle il ajoute trois titres de champion de France en 1972, 1973 et 1975, aux quatre remportés en 1947, 1948, 1949 et 1951. Dans les années 1970-1980, le volleyball est surtout un sport universitaire et amateur, Philippe ne se voit pas faire carrière, il passe sagement son bac et un diplôme de mathématiques puis entre chez IBM.  L’atavisme familial le conduit tout de même sur les parquets du palais des sports Pierre de Coubertin à Montpellier. Au poste de réceptionneur-attaquant, ses inédites manchettes bras pliés le conduisent en équipe de France.  Il endosse le maillot bleu à   340 reprises et vivra une aventure unique. À l’époque, en 1982, Edwige Avice est ministre des Sports sous François Mitterrand. C’est elle qui met en place les premiers contrats de sportifs de haut niveau. « En 1986, la France, vice-championne d’Europe, organise pour la première fois les Championnats du monde de volleyball, se souvient Philippe. Il y a une grosse pression politique et sportive pour que l’on décroche le titre. On va être mis à disposition de l’équipe de France, sous forme de commando, durant dix-huit mois, un truc totalement impensable aujourd’hui. » Les Bleus terminent finalement à la sixième place de cette compétition. Philippe Blain est élu meilleur joueur de la compétition mais conserve un goût amer de ce moment. De cette aventure naîtront des amitiés profondes, et celui qui ne se voyait pas « faire carrière » dans le volley fait ses bagages… pour longtemps. Au début des années 1990, Alain Fabiani à Parme, Laurent Tillie à Falconara et Philippe Blain à Coni ouvrent la voie de l’expatriation vers une Italie dingue de volley, et ce bien avant l’arrêt Bosman. « Mon club, Cuneo, n’avait pas de salle à sa taille, raconte Blain, on jouait dans un cirque, c’était complètement délirant. Les supporters du foot, du Torino et de la Juve se retrouvaient ensemble pour nous soutenir dans une ambiance extraordinaire. » C’est là-bas en Italie que Philippe décide finalement d’oublier les mathématiques pour se tourner vers une carrière d’entraîneur. Lui qui aura été le joueur d’un seul club en France, Montpellier, s’engage successivement à Cannes et à l’Arago de Sète avant de prendre les rênes de l’équipe de France. Après un passage à vide de quinze ans, la France monte pour la première fois de son histoire sur le podium d’une compétition mondiale lors des Championnats du monde en Argentine en 2002. Le bail durera dix ans, durant lesquels le Montpelliérain pose les bases d’une équipe de France aux ambitions retrouvées. Un petit crochet le ramène à Montpellier mais l’aventure tourne court, d’autant plus que l’ami Stéphane Antiga lui propose de l’accompagner pour prendre la tête de l’équipe de Pologne, pays où le volley est roi autant qu’au Brésil. « La mission est simple…gagner à domicile ! » En 2014, la Pologne organise une seconde fois les Championnats du monde, la pression populaire et médiatique est énorme. Le match d’ouverture se déroule dans une ambiance de feu au cœur du stade national de foot de Varsovie devant 62 000 spectateurs, face à la Serbie. « Je me souviens bien de ce moment, raconte Philippe, nous étions entrés dans le stade un par un, c’était extraordinaire. On prenait un gros risque parce que, malgré le toit, il y avait du vent, on avait l’impression de jouer en extérieur. » Les deux sélectionneurs ont décidé, malgré les craintes de leur président, de jouer leur concurrent direct, la Serbie. La Pologne l’emporte facilement (3-0) et remporte le titre suprême face au Brésil (3-1).  Le Montpelliérain quitte la sélection polonaise après les JO de Rio. Arrive alors la cérémonie du CIO qui doit départager les candidatures de Tokyo et Paris pour l’organisation des Jeux olympiques de 2020. Philippe Blain voit le Japon désigné et envoie un mail de félicitations à la fédération japonaise de volley. « La réponse ne tarde pas : vous faites quoi en ce moment ? me demandent-ils. La fédération me propose de venir en 2017 au poste de sélectionneur adjoint, parce que pour le Japon, il était inconcevable que ce ne soit pas un Japonais qui signe la feuille de match, même s’il n’avait pas de compétence en tant que sélectionneur. » Il découvre un autre monde et un sacré défi. Là-bas, la tradition, la culture, la manière de communiquer, tout est très verrouillé. Les équipes sont des franchises de grandes entreprises japonaises dont les joueurs sont employés à vie, aucun ne parle anglais. « Quand on avait des réunions avec les joueurs, il n’y avait que les anciens qui prenaient la parole. La manière de transcrire les émotions, même physiquement, est totalement différente. 

“ AU JAPON, LE VOLLEY EST UN SPORT ANCESTRAL ”

Savoir si le joueur est en colère, mécontent, en difficulté ou pas… c’est très compliqué. Au Japon, le management est vertical depuis l’école, mais en sport cela ne peut pas être comme ça. Pendant le match, le joueur est seul face à ses décisions, il doit être sûr de lui et assumer.  Cela a été un long, très long travail, mais passionnant. » Pour la première fois depuis longtemps et malgré les difficultés liées au Covid, le Japon accède aux quarts de finale des JO de Tokyo. La fédération propose donc à Blain de poursuivre dans les mêmes conditions, ce qu’il refuse poliment, il veut les pleins pouvoirs pour aller plus loin. Là-bas, contrairement au foot ou au rugby, le volley est un sport presque ancestral qui est inscrit dans la culture japonaise. Après de longues discussions, il devient le premier sélectionneur étranger officiellement désigné : le daihyō kantoku. Pour parfaire son intégration, il a commencé à suivre des cours de japonais, une langue difficile. Mais comment convaincre ses joueurs d’apprendre l’anglais s’il ne fait pas lui-même l’effort ? Marié et toujours installé à Montpellier, Philippe organise sa vie pour être sept mois par an au Japon. Là-bas, il vit avec son équipe au quotidien et n’a pas de domicile fixe. Son temps libre, il l’utilise à découvrir le pays et à répondre autant qu’il le peut aux nombreuses sollicitations des fans dans la rue, principalement des femmes, notamment depuis que le Japon a battu l’Italie en Ligue Mondiale, l’Iran en finale du championnat d’Asie et que le Japon s’est qualifié pour les Jeux de 2024 : « aujourd’hui nous sommes la quatrième nation mondiale, aux JO de Paris je serai Japonais avec la ferme intention de faire mieux qu’à Tokyo, parce que cette équipe est formidable. »

Journaliste Jean Brun // Photographe Guilhem Canal

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