En mouvement

Lily Ramonatxo
Alors qu’elle a tout juste dix-huit ans, son palmarès resplendit déjà de multiples médailles, reflets d’une discipline de fer et d’un talent qui ne cesse de s’épanouir. Elle aborde la pression avec la sérénité d’une âme qui a trouvé sa voie, où chaque compétition est moins un défi qu’une expression de soi, un instant de vérité où se dévoile, sur le praticable, l’essence de sa passion. Lily Ramonatxo n’est pas seulement une gymnaste accomplie ; elle est la poésie en mouvement, une étoile filante dans l’univers de la gymnastique rythmique, traçant sa trajectoire vers les sommets avec la grâce des plus grands.

Lily, comment en êtes-vous venue à pratiquer cette discipline ?

Depuis que je suis toute petite, j’aime danser. Être en mouvement, se laisser porter par le rythme de la musique, quel sentiment de liberté ! J’ai commencé par la danse contemporaine dans une association de village, puis j’ai suivi l’enseignement en danse classique au Conservatoire de Montpellier. En 2011, Montpellier a accueilli les Championnats du monde de Gymnastique Rythmique, j’y suis allée avec ma cousine. J’ai été éblouie par les gymnastes, leurs justaucorps qui brillaient. J’ai vraiment eu un coup de cœur et plein d’étoiles dans les yeux. J’ai dit à mes parents : « je veux commencer ce sport ! » Je n’habitais pas trop loin de la salle de gymnastique et j’ai débuté la GR tout en continuant le Conservatoire de danse. À mon entrée en Pôle Espoir, alors que j’étais en 6e, j’ai choisi la GR.

Avec une famille aussi ancrée dans le sport, on pourrait dire que le sport coule dans vos veines. Quel rôle votre héritage familial a-t-il joué dans votre passion pour la gymnastique rythmique ?

C’est vrai que nous sommes une famille dite active. Pour nos vacances c’est plutôt rando, camping que plage et farniente. Ma passion pour le sport en général et le besoin de me dépenser dans la journée sont des habitudes de vie. J’ai souvent entendu « Un esprit sain dans un corps sain », « le sport, c’est la santé ».  Donc le sport est une évidence chez nous. La Gymnastique rythmique est apparue dans ma vie avec ces Mondiaux et s’est imposée rapidement comme une évidence. Avec un grand-père Olympien et entraîneur national en Kayak, une tatie ex-basketteuse professionnelle avec de nombreuses sélections en Équipe de France et aujourd’hui agent, un cousin champion du monde en canoé et actuellement une cousine qui représentera la France aux JO de Paris en Kayak slalom, je baigne dans le haut niveau, et ce depuis que je suis toute petite. Je me rappelle les matchs de ma tatie, les chants des supporters, j’avais le casque anti-bruit sur les oreilles mais je ressentais l’enjeu des matchs, sa motivation à aller « chercher la gagne », comme on dit. Tout cela m’a touchée et a renforcé mon caractère de compétitrice. J’ai su très jeune ce qu’étaient les JO, on les suit toujours à la télé. Mon entraîneur raconte que lors de l’entretien pour entrer au Pôle, j’aurais été la première gymnaste à dire que mon objectif sportif était les JO. Cela faisait sourire tout le monde, y compris mes parents, car eux, ils voyaient surtout l’occasion de dépenser mon énergie et de m’occuper. Mais comme dit le grand champion de Basket Tony Parker : « Si, lorsque tu confies aux autres ton rêve, ils ne se moquent pas de toi, c’est que tu ne rêves pas assez grand ».

À seulement dix-huit ans, vous avez déjà une impressionnante collection de médailles. Comment gérez-vous la pression de maintenir un tel niveau d’excellence à un si jeune âge ?

Déjà mon entraîneur m’aide à fixer les objectifs et ma famille sait ne pas me mettre de pression.  J’ai le bon stress en compétition. Par contre, la transition Junior-Senior n’a pas été simple, enrayée aussi par les années Covid où il y a eu moins d’occasions de « sortir à l’international » ; donc à chaque compétition, on jouait nos sélections. L’enjeu des JO de Paris amène aussi plus de pression et mon côté perfectionniste fait que je suis rarement satisfaite. En fait, plus on s’investit dans sa passion, plus on a envie de ne pas décevoir, de montrer tout le travail accompli, et tout cela en 90 secondes dans une salle inconnue avec des lumières différentes de celles de notre gymnase… En GR, il n’y a pas une seconde mi-temps pour mettre des paniers de plus, ou inverser la tendance. Il faut, en plus de réussir, exprimer dans le même temps nos émotions sur le praticable tout en restant concentrée sur la maîtrise de l’engin. J’ai maintenant une préparatrice mentale qui m’aide à gérer ce paradoxe, afin d’être plus performante en compétition mais aussi plus efficace à l’entraînement.

Vous avez décrit la gymnastique rythmique comme « une partie de vous ». Pouvez-vous nous expliquer ce sentiment profond, et comment cela vous motive dans vos entraînements et compétitions ?

La GR est un sport exigeant et le haut niveau implique de s’y investir totalement, déjà par le nombre d’heures passées dans la salle : c’est beaucoup, beaucoup d’heures d’entraînement car on a quatre enchaînements différents à travailler. Il faut réellement une motivation intérieure pour arriver et se maintenir au plus haut niveau. C’est pour cela que je considère la GR comme une partie de moi, car personne ne pourrait réussir à me forcer à continuer ce sport sans cette envie profonde d’être sur un praticable. La première fois que j’ai pris des massues dans les mains lors de mon premier cours de GR, cela a été comme un déclic, j’ai voulu les manipuler, les lancer, les faire rouler… et je voulais danser avec. On peut tout raconter avec le corps et la musique. C’est un langage à part entière. J’ai l’impression de m’exprimer mieux et plus facilement avec mon corps qu’avec les mots. Je suis en admiration devant les danseuses et danseurs classiques, mais également de tous types de danse. La danse et la GR, c’est l’art du corps qui consiste à exprimer et partager des émotions devant un public, l’un en spectacle, l’autre en compétition. J’ai commencé par la danse, l’aspect compétitif de la GR m’a ensuite séduite au regard de mon caractère, mais je reviendrai un jour à la danse, car je ne peux imaginer ma vie sans le langage corporel.

Parlons de votre entraîneur, Alexandra Konova. Quelle influence a-t-elle eue sur votre développement en tant que gymnaste, et comment décririez-vous votre relation avec elle ?

Alexandra s’est occupée de moi très vite, même avant le Pôle ; c’est simple, sans elle, je n’aurais jamais atteint ce niveau. J’ai commencé la pratique de la GR assez tard finalement, lors des premiers Championnats de France, je devais être vingtième… je trouvais les autres gymnastes tellement fortes, mais cela me donnait une envie dingue de faire comme elles. Alexandra a su cultiver mon originalité, ma personnalité, créer des enchaînements différents, prendre des risques. J’aime la difficulté, j’ai besoin de challenge.  Elle n’a jamais compté ses heures, on partait en tournoi en bus de nuit pour se faire connaître, acquérir de l’expérience. Je crois que cela fait dix ans maintenant qu’elle m’entraîne, la relation ne cesse d’évoluer car je grandis aussi, la transition junior-senior a été une étape importante que nous avons franchie ensemble. On se dit toujours « dans le même bateau ». Elle est le capitaine, le gouvernail. Je suis la gymnaste que je suis grâce à elle et de par le temps que nous passons ensemble, elle m’aide à devenir la meilleure version de moi-même sur le plan personnel aussi.

Vous avez évoqué le sentiment d’être « à votre place » sur le praticable. Comment ce sentiment se traduit-il dans vos performances ? Y a-t-il un moment spécifique où vous avez vraiment ressenti cette connexion avec votre sport ?

Le fait de commencer la GR m’a permis à la fois de canaliser mon énergie et de trouver un endroit où m’exprimer. Pour chaque enchaînement que nous créons, nous racontons une histoire et ouvrons une part de nos émotions et de notre personnalité au public. Du coup, le moment où je me sens le plus en connexion avec mon sport, c’est en compétition devant le public. Et lorsque j’arrive à exprimer ce que je souhaite, comme aux Championnats d’Europe Junior ou en Coupe du monde à Brno, c’est une grande joie. Après, je n’attends pas la compétition parfaite pour ressentir cette joie, cela peut être sur un mouvement particulier ou une séquence musicale spécifique.

Votre parcours vers les Jeux olympiques de 2024 est passionnant. Quels sont les défis spécifiques auxquels vous devez faire face dans la préparation de cet événement mondial et comment vous y préparez-vous ?

Les JO de 2024 sont un rêve qui m’anime depuis que je suis entrée au Pôle, même si je pense qu’à l’époque peu de personnes auraient parié sur ma présence dans le trio final pour la sélection. Il y avait tant de gymnastes talentueuses en amont ! Une préparation olympique, c’est un marathon pas un sprint, donc il faut continuer le travail, garder la confiance, ne pas regarder trop loin, avancer étape par étape, ne pas se mettre trop de pression, savoir « lâcher prise » à certains moments pour mieux performer ensuite. Il s’agit aussi de concilier au mieux les sollicitations du fait que les JO se passent à la maison. La fête des JO a déjà commencé pour nous, car c’est une chance qu’ils se déroulent à Paris ! Je suis marraine de classes où j’essaie de transmettre les valeurs du sport et de l’olympisme. C’est important, j’ai commencé comme cela à regarder les sportifs de haut niveau. Tout le monde a le droit de faire du sport et à tout niveau. Par contre, si les JO 2024 étaient mon but, je m’aperçois que plus je m’en approche, plus je me rends compte que ma passion pour la GR va au-delà de cette date, et que je ne me vois pas arrêter après 2024, que je fasse ou non les JO de Paris. Je sens que je suis encore en progression et que je n’aurai pas encore tout partagé.

En parlant de préparation, pouvez-vous nous donner un aperçu de votre routine d’entraînement typique? Comment équilibrez-vous les exigences de la compétition avec votre vie personnelle et éducative ?

Je m’entraîne entre six et sept heures par jour ; cela inclut danse et GR, avec trois heures de cours à la fac par jour. En fonction du jour de la semaine, soit je commence la fac à 8 heures soit c’est l’entraînement… Cela permet de varier un peu et d’éviter la monotonie. Se rajoutent une séance de kiné ou d’ostéo en alternance et une séance de travail en préparation mentale par semaine. J’ai une hygiène de vie en relation avec les exigences sportives : nourriture saine, pas d’alcool, pas de tabac, heure de coucher n’excédant pas 22 heures. J’ai toujours maintenu un projet scolaire et je suis les cours en présentiel, car j’ai besoin de maintenir des relations sociales. Je suis maintenant en Licence de Mathématiques à l’université de Montpellier. J’adore les chiffres et les algorithmes. C’est un autre langage dans lequel je me sens à l’aise. Aller en cours, réfléchir sur autre chose que mes enchaînements de GR, cela me repose l’esprit et me rend plus performante dans mon sport. Par contre, mes études sont étalées dans le temps afin que je puisse réussir les deux cursus. Continuer les études me permet aussi d’envisager une carrière sportive plus longue.

Votre présence sur la scène internationale se renforce. Comment gérez-vous les attentes et la pression croissantes, surtout en tant que l’un des visages de la nouvelle génération de gymnastes françaises ?

Avec Paris 2024, nous avons eu une attention particulière de la Fédération mais aussi de la scène internationale puisque nous sommes pays hôte. Cela a été une chance pour nous, les gymnastes de cette génération, que ce soit en Ensemble ou en Individuel. C’est toujours un honneur pour moi de représenter la France dans les grandes compétitions internationales. Entendre et chanter la Marseillaise avec le public comme au Grand Prix de Thiais pour notre première place en Équipe a été une très grande émotion pour moi. Ce contexte olympique particulier nous donne une responsabilité, on attend de nous que nous soyons performantes. Mais pour ma part, cela renforce ma motivation à aller tous les jours à l’entraînement, à donner le meilleur de moi-même.

Pour finir, pouvez-vous nous parler de vos rêves et ambitions au-delà des Jeux olympiques de Paris 2024 ? Quels sont vos projets pour l’avenir, à la fois dans la gymnastique rythmique et en dehors ?

2025 sera une année intense en GR avec également avec trois évènements majeurs : Championnats du monde, Jeux mondiaux et Universiades, sans compter les Championnats d’Europe et autres coupes du monde. Mon rêve est de pouvoir continuer à faire parler de la France sur la scène internationale, même après 2024. Monter sur un podium de Coupe du monde ou de finales de Championnats du monde serait un objectif ambitieux, et pourquoi pas aller chercher la sélection aux JO de 2028 ? En tout cas, continuer à vibrer et partager mes émotions jusqu’à atteindre mon plus haut niveau, car on l’atteint toujours. Je reviendrai alors à la danse comme pratique de loisir et j’aimerais devenir juge international, car le stress de la compétition me manquera trop et ce sera un bon moyen d’aider ma fédération et les futures gymnastes françaises. J’espère valider ma Licence de Mathématiques et me tourner vers des Masters ou écoles d’ingénieurs spécialisés dans les statistiques, probabilités, algorithmes. Danse, juge et chiffres, voilà pour l’instant comment je vois la suite après ma carrière de gymnaste.

Journaliste Marie Gineste // Photographe Airlie Wood

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