INDESTRUCTIBLE 

FABIENNE SICOT-PERSONNIC
Le 18 mai 2023, la Montpelliéraine Fabienne Sicot-Personnic est entrée dans l’histoire. L’alpiniste de 39 ans est devenue la 14e femme à atteindre le sommet de l’Everest. Une performance exceptionnelle, alors qu’elle vit avec deux pathologies invalidantes. Mais cette passionnée ne compte pas s’arrêter là : un nouveau 8000 mètres est programmé pour septembre !

Fabienne, on voit quoi au sommet de l’Everest ?
Des montagnes, à perte de vue. On est à la frontière entre le Tibet et le Népal. À 360 degrés, ce ne sont que des sommets enneigés. Ce qui m’a le plus émue, c’est un lever de soleil. On était une trentaine sur une grande arête, en train de compter nos pas, en autohypnose pour continuer malgré la fatigue. J’ai levé la tête et j’ai capté ce moment de folie. Je ferais tout pour le revivre. L’image est tellement là, enregistrée dans ma tête… 

Ça fait quoi d’atteindre le Toit du Monde ?
On ne réalise pas tout de suite. J’ai eu la sensation d’être minuscule. Ces sommets sont là depuis des milliards d’années. On est peu de chose, comparé à ce que la nature est capable de créer. J’ai voulu enregistrer un maximum de sensations, photographier ce qui m’entourait avec mon regard. J’étais épuisée, mais seulement la moitié de l’objectif était atteint. Je ne pensais qu’à une chose : redescendre en vie. Le soulagement, je l’ai vraiment ressenti quand je suis rentrée en France. 

La descente, on n’en parle pas souvent…
Malheureusement, il arrive que des personnes la minimisent. Alors que c’est le plus dangereux. Il y a un lâcher- prise une fois que l’on a atteint le sommet. Cela a fait partie de ma préparation. C’est pour cette raison qu’une fois en haut, je n’ai pas eu ce moment d’euphorie que tout le monde peut imaginer. Il ne fallait pas lâcher. La fatigue avance crescendo. J’ai tenu en me disant que chaque pas me rapprochait du retour avec ma famille. 

Tu es la quatorzième femme à gravir l’Everest. C’est très peu ! 

C’est vrai. L’alpinisme est un milieu encore très masculin. J’ai été confrontée à des rejets complets par des personnes du milieu du sport, de la montagne. Parce que je suis une femme, parce que je suis handicapée. Les mentalités ont encore beaucoup à évoluer. Si l’on ne s’y prépare pas, on peut très rapidement baisser les bras en se disant : ils ont raison, je n’y arriverai pas. Il faut un peu se blinder. 

Ton exploit est d’autant plus énorme que tu souffres de la maladie des os de verre et de la spondylarthrite ankylosante. Un tel projet, c’était un peu fou, non ? 

Complètement ! (Rires) Mes pathologies me poussent à lever la tête de mon quotidien. La vie passe en un rien de temps, pour tout le monde. Je voudrais vraiment, sur mes vieux jours, lorsque je regarderai le rétro, être satisfaite de ce que j’ai pu accomplir. J’ai ma famille, mon travail. Mais serai-je accomplie en tant que personne ? 

Comment fait-on pour monter un Everest ?
C’est un très très long parcours. Deux ans et demi de préparation : organisation, physique, mental… Financièrement, j’en ai eu pour 60 000 euros. Chacun construit son expédition en fonction de ses capacités de base, son envie… Quand on arrive là-bas, on est affutés, musclés. On a fait du gras, car mine de rien, on va être soumis à des conditions rudes. Au moment où l’on a la fenêtre météo favorable pour l’ascension finale, on est éclatés. La différence entre ceux qui vont atteindre le sommet ou non, c’est la force du mental. Il faut accepter d’être fatiguée, d’en baver, d’avoir mal partout… Parce qu’au bout, on le fait pour soi. 

Ton ascension a été difficile… 

L’Everest, c’est la montagne la plus noire, la plus rocheuse. Il y a toujours un halo de neige et de vent qui part du sommet. Elle n’est pas accueillante. Elle ne nous a pas facilité la tâche : juste après être partis du camp de base, à 5400 mètres d’altitude, on a failli être emportés par une première avalanche. J’ai vu l’effroi dans le regard de Mingmar, mon sherpa. Clairement, on aurait pu y passer. Alors chaque pas supplémentaire, on la remercie de nous laisser avancer sans nous faucher la vie. 

En plus, au retour, tu as pris un gros bloc de pierre sur la jambe !
Le choc a été violent. Je sentais mon pouls dans mon genou, ma botte était déchirée. 

Physiquement, il n’y avait déjà plus personne, mais cet accident a fissuré mon mental. On n’avait plus d’oxygène. J’ai eu besoin de me reposer un peu. J’ai vu que j’avais une hémorragie interne au genou. Mais je ne pouvais pas m’arrêter, on devait rejoindre le camp 2 pour que les secours interviennent. Dans ce cas, on se relève et on gueule ! Nos instruments avaient gelé, donc ma famille n’a pas eu de nouvelles pendant 17 heures. Finalement, j’ai été hélitreuillée du camp 2. Je n’avais pas le choix : j’avais en plus déclenché une grosse crise de spondylarthrite. Je ne pouvais plus refermer mes mains, je ne pouvais quasiment plus marcher. 

On n’y pense pas, mais on peut mourir sur l’Everest… 

Au-dessus de 8000 mètres, on est dans « la zone de la mort ». On doit y rester le moins possible. À l’aller, j’ai croisé des corps, enfermés dans leur cercueil de glace depuis des années. Au retour, un homme a laissé sa vie. On était à un peu plus de 8500 mètres d’altitude. Cela commençait à bouchonner un peu. Quelqu’un s’était arrêté. Toutes les personnes l’enjambaient ou l’évitaient. Cela peut paraître choquant. Mais passé 8000 mètres, on est en hypoxie, en manque sévère d’oxygène. Pour certains, tous les dangers, toutes les personnes qui nous entourent, deviennent complètement secondaires. J’avais la chance de rester lucide. Mon côté infirmière est revenu plein pot. Je me suis arrêtée, et j’ai constaté son décès. Mais il aurait été encore en vie, on n’aurait pas été en mesure de l’aider à cette altitude-là. 

C’était donc extrêmement risqué…
J’en avais conscience. Mais je n’ai pas pris des risques « inconsidérés ». Le milieu de l’alpinisme est très exigeant. C’est un peu comme les maths : le calcul est juste ou est faux. On vérifie son matériel de sécurité. On sait qu’il faut poser le pied au millimètre près.  J’avais vraiment une conscience très affutée de tout ce qui allait m’entourer. Je prenais, à mon sens, moins de risques que d’aller travailler en voiture. On croise la route de quelqu’un qui est alcoolisé, et c’est terminé. 

Tu voulais défier la mort ? 

Dans mon métier, en soins intensifs en cardiologie, je côtoie la mort, mais pas de manière négative. Régulièrement, des patients victimes de cancers me disent « si j’avais su ». Le fameux rétroviseur de la vie. Cela m’a permis, je pense, de pousser ce projet au plus loin. Ne pas avoir de regrets. Ne pas rester coincée dans son quotidien. Je ne comprends pas que l’on puisse laisser un rêve à l’état de rêve. On n’a qu’une vie ! 

Voulais-tu prouver quelque chose ?
Initialement, non. Ce projet était personnel, émanait de mon histoire. Mais au fil du temps, les gens m’ont dit que pour le handicap, c’était un super message. Certains disaient que mon projet était suicidaire. Le fait que ça ait marché, c’est comme un pied de nez à ceux qui ont de grosses œillères. Peut-être qu’ils vont un peu les faire tomber… 

Six mois plus tard, as-tu digéré les choses ?
Cela a pris plusieurs mois. Là-bas, j’ai perdu quinze kilos. J’avais beaucoup de carences. J’ai dû porter des manchons de décompression pour faciliter la récupération du muscle lésé. J’ai des doigts et des orteils qui ont gelé. Il fallait aussi récupérer au niveau mental. J’ai été hélitreuillée, je suis donc passée en 48 heures de la zone de la mort à une chambre d’hôpital. Le retour à la réalité a été super violent. Je suis rentrée, mais j’étais encore là-bas. 

Et tu repars pour un nouveau 8000 mètres !
Oui, ce sera le Manaslu, en septembre. C’est le huitième plus haut du monde (8163 mètres). Du sommet, j’aurai vue sur l’Everest. C’est un petit clin d’œil. Cette fois, le défi est d’y aller sans oxygène. Je sais ce que provoque l’hypoxie, physiologiquement et mentalement. J’ai réussi à la maîtriser sur les pentes de l’Everest alors que j’étais accidentée, fatiguée, avec une météo exécrable. J’ai des pathologies, mais la respiration, c’est encore moi qui peux la contrôler. 

Tu es en état de recommencer ? 

On verra (rires). La préparation que nécessite ce genre d’ascension pousse mon corps au fur et à mesure, mais les muscles protègent mes os. Je n’ai pas eu de fractures depuis quasiment deux ans. Cela ne m’était jamais arrivé. Se dépasser libère des endorphines. Déstresser, être plus zen, c’est plutôt bon pour la spondylarthrite. Sans tout cela, je serais sans doute encore dans mon fauteuil roulant. 

Tu t’arrêteras quand ? 

Le jour où je serai privée de mon autonomie. Cette épée de Damoclès, je la redoute. Je ne voudrais pas regretter, avec
tout le temps que j’ai eu. Si ça s’arrête demain, j’ai fait ce truc de dingue. J’ai envie de garder cette sensation-là. Tant que je le pourrai, je continuerai à lutter. 

Tu as conscience d’être un exemple unique au monde, peut- être unique dans l’histoire de l’humanité ?
Cela met un peu la pression… Moi, je kiffe mes moments. Si mon histoire donne envie à d’autres personnes de réaliser leurs rêves, de vivre des choses grandioses qui leur ressemblent, qui les rendent fiers, c’est génial. 

Ton expérience, c’est un message sur la vie…
C’est important de s’entourer des bonnes personnes. Seul, on peut faire des choses. Mais si on a du monde derrière qui nous soutient, qui nous pousse, qui nous porte, qui nous aime… Clairement, on est capable de déplacer des montagnes ! 

Journaliste Gwenaël Cadoret // Photographe Guilhem Canal

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