La légende

Souleymane Camara
Entre le MHSC et Souleymane Camara, l’histoire d’amour a duré plus d’une décennie. Surnommé Camaradona par les supporters, c’est avant tout un personnage attachant et discret, dont la combativité incarne le fameux esprit de la Paillade.

« Oh Camara / est toujours là / pour marquer comme Maradona… » Tout le monde se souvient de ce chant, résonnant dans les travées de la Mosson. L’ancien buteur Souleymane Camara a pris sa retraite en 2020, mais personne n’a oublié « Camaradona ». « La première fois que j’ai entendu le chant, j’étais surpris, glisse-t-il dans un sourire. On n’a pas le même poste, il a des cheveux et pas moi… C’était bizarre, mais ça fait plaisir ! » Un surnom hérité de quelques coups de génie, comme un coup de canon contre Toulouse, en 2009. « Parfois, il nous arrive un flash, analyse-t-il. Sur ce but, le ballon rebondit, je décide à l’instinct. J’ai encore l’image dans la tête. J’ai senti que ça partait bien. »

Débuts chahutés

La revanche est belle après des débuts compliqués en orange et bleu. « Les premiers temps, j’étais critiqué, confie le joueur. Être sifflé par ses supporters, c’est dur quand on essaie de donner le maximum. Mais c’est le métier. Le public est exigeant. » Cela n’aura duré qu’un temps : sens du sacrifice, pugnacité, sourire éternel… Souleymane a séduit à force de ne rien lâcher. Une idylle qui durera jusqu’à la fin de sa carrière.

Montpellier était la destination idéale après un passage difficile à Nice. Il y avait signé pour quatre ans. Au bout de six mois, le coach et le directeur sportif l’invitent à changer d’air… À l’évoquer, son visage se ferme. « J’y ai vécu les moments les plus durs de ma carrière. J’ai beaucoup souffert. Ce sport, c’est 80 % de mental. Si la tête va, le reste suit. Quand on joue mal, peut-être que des choses se passent dans notre vie… Mais on ne peut pas en parler. » Cette expérience le transforme. « Cela m’a permis de me connaître en tant qu’homme. Je me suis forgé mon caractère. »

Camaradona est un dur à cuire. À seulement seize ans, il avait déjà affronté un gros coup de blues en quittant le Sénégal pour Monaco. « C’était un choc. Là-bas, j’avais mes habitudes, mes copains. On se voyait, on buvait le thé, on déconnait ensemble. » Un mois, il dépense 5 000 francs de téléphone ! « Cela montre comment j’allais. J’avais besoin de parler avec les amis, la famille, ma future femme. À chaque fois que je finissais l’entraînement, c’était le téléphone ! »

Le foot plus que l’école

Il songe à rentrer, mais s’accroche au nom de ses proches, à 4 000 kilomètres de là. Car le foot, c’est tout pour lui, depuis son plus jeune âge. Et notamment le rôle d’attaquant. Souley est vite devenu accro à la « sensation inexplicable » de marquer un but. Cependant, ses parents, commerçants d’origine guinéenne, préfèrent les diplômes au ballon. Il était bon élève, on lui prédisait même de longues études. Mais l’enfant ira jusqu’à sécher pendant six mois son école payante pour vivre sa passion. « Quand mon père s’en est rendu compte… Malheureusement, j’aimais encore plus le foot que l’école. » Forcément, il ne souhaite pas le même destin à ses trois enfants. « Je ne suis pas un exemple. J’en garde des regrets. Je n’aimerais pas qu’ils fassent la même erreur. » En 2001, l’entraîneur Claude Puel, qui croit en lui, le fait signer pro. Pas de chance : Didier Deschamps lui succède à Monaco. Le jeune joueur doit convaincre à nouveau, au milieu d’un casting offensif XXL (Bierhoff, Nonda, Pršo, Simone, Giuly, Gallardo, Rothen…). Il attend cinq mois pour commencer à jouer un match. C’est contre Rennes, le 22 décembre 2001. Il fête ses dix-neuf ans et marque son premier but, puis un second dans la foulée, contre le PSG. L’euphorie est de courte durée. Peu à peu, il sort des feuilles de match. Il sera même envoyé en prêt à Guingamp. « C’était une grande équipe, avec beaucoup de grands joueurs. Didier Deschamps me faisait confiance, mais je ne jouais que des bouts de matchs. J’étais jeune, j’avais envie de partir. » Sa bulle d’oxygène, c’est l’équipe nationale. À même pas vingt ans, il a connu la Coupe du Monde 2002, où les Lions atteindront les quarts de finale. Le joueur a participé à la fête contre le Danemark. « Vivre une Coupe du Monde à dix-neuf ans, c’est exceptionnel. Il n’y a pas plus beau que de représenter son drapeau. » Souleymane Camara portera la tunique du Sénégal à 35 reprises.

Montpellier, son cocon

Il aurait pu rejoindre Lille, mais Monaco le retient. Finalement, en 2007, Rolland Courbis le convainc de signer au MHSC. Le joueur accepte de descendre d’une division. « Rolland m’a présenté son projet de montée en L1. Mon entourage se posait des questions. Je crois que j’ai bien fait ! » À Montpellier, ce joueur de devoir trouve le cocon idéal pour s’épanouir. « Vu la manière dont j’ai été accueilli, je me suis senti le bienvenu. Laurent Nicollin et Michel Mézy m’ont reçu, on a déjeuné au Bistrot de Grammont. Ils m’avaient fait la bise, ça m’avait marqué. J’ai su que j’étais au bon endroit. »

En treize saisons au MHSC, il marque 76 de ses 101 buts en pro. Pas énorme pour un attaquant. Face aux journalistes, Rolland Courbis balayait les chiffres, louant son intelligence, son travail sur le terrain et son poids sur les défenses. « Forcément, quand on est attaquant, on veut marquer, reconnaît le jeune retraité. Mais je n’ai jamais été du genre à compter mes buts. Je voulais avant tout être performant. » Les médias le qualifient d’ailleurs de « Supersub », super remplaçant. Souley n’a jamais apprécié. Sa carrière est tout de même un paradoxe : inexplicablement, il a marqué un quart de ses buts comme remplaçant. Plus que n’importe quel autre joueur. « Je n’aime pas ce mot de remplaçant. On fait tous partie d’un effectif, et l’entraîneur prend ses décisions. Parfois, on n’est pas d’accord. » S’il performe de la sorte, c’est pour évacuer sa frustration. « La meilleure façon de montrer au coach qu’on a les boules, c’est de tout donner sur le terrain. Cela me motivait deux fois plus. Je ne suis pas dans le 11 de départ ? Même si je n’ai que trois minutes, vous allez voir ! »

Mais l’homme ne fait pas de vagues. Il reste fidèle au club, même quand Blackburn (Angleterre) ou le Moyen-Orient l’approchent. « Ce n’est pas une légende : on est continuellement démarchés, sollicités par des représentants de clubs, des agents. » Bien lui en a pris : il participe à la plus belle période de l’histoire du club, de la montée en 2009 à la Ligue des champions en 2012 ! « Personne ne nous attendait, pas même nous. On nous disait que ça n’allait pas durer, mais on continuait à ne pas perdre ! Comme quoi, on a prouvé que rien n’était impossible. »

Cette grande époque, Montpellier la doit aussi à un buteur hors normes : Olivier Giroud. Poussé parfois sur le banc, Souleymane n’a pas de rancœur. « Une équipe a besoin de plusieurs atouts. Olivier nous a fait énormément de bien, il marquait des buts exceptionnels. »

« Fils » de Loulou

Sur la Comédie, on se souvient d’un Souleymane radieux, à deux pas de Louis Nicollin avec sa crête orange. Entre Loulou et Souley, un lien unique s’est tissé au fil des années. « C’était notre papa. Il avait un franc-parler que j’appréciais beaucoup. Il nous aimait. » Le 29 juin 2017, Souleymane est en pleine séance de cryothérapie quand il apprend le décès du président. « Cela a été très dur. C’était quelqu’un de passionné, d’attentionné, avec le cœur sur la main. Il faisait beaucoup pour ses employés, pour les enfants… » Lors du premier match de la saison suivante, c’est évidemment lui qui inscrit le but de la victoire contre Caen. La photo du joueur, maillot noir du deuil, doigt vers le ciel, reste dans l’histoire du club. « Je ne sais pas si c’est le destin. Je voulais vraiment marquer pour lui rendre hommage. On a eu la chance de le connaître. Il a fait beaucoup pour cette ville, pour ce club. »

Le temps passe et le crépuscule s’approche. Peu à peu, son temps de jeu se réduit. Il prend finalement sa retraite en juin 2020. En plein Covid, Camaradona ne peut dire au revoir. « C’est dommage. Mais après vingt ans de carrière, c’était le moment. On n’est pas éternel. » Il sera finalement honoré deux ans plus tard.

Un futur coach ?

En homme réfléchi, il a su se préparer mentalement à la vie d’après. « Pour pas mal d’amis, j’ai vu que cela pouvait être dur. Je n’ai pas eu le temps de gamberger. J’ai eu la chance de basculer directement avec le club. » Pour rester dans le foot, il rejoint la cellule de recrutement. France, Europe, Afrique… Chaque « scout » supervise les profils intéressants, puis chacun donne son avis. La dernière trouvaille, c’est le buteur Akor Adams. « On a senti qu’il avait des qualités. Cela se confirme à Montpellier. Quand c’est le cas, ça fait plaisir. » Titulaire depuis 2022 des diplômes d’entraîneur, il donne aussi « un coup de main » à Stéphane Blondeau auprès des U14 et U15 du club. « Au départ, je n’étais pas chaud. Finalement, être au bord du terrain, échanger, transmettre, j’aime beaucoup. » Au point de devenir coach à son tour ? « Je n’aime pas faire de plan. Pour le moment, ce que je fais me plaît. » Ce serait une belle histoire que le joueur le plus capé et meilleur buteur de l’histoire du club rejoigne le staff des pros. Son sourire devient timide. « On verra bien ce qui se passera. Je ne me suis jamais pris pour quelqu’un d’autre. J’ai de la chance d’être là, ma famille est bien. » Souleymane n’est peut-être pas une star, mais Camaradona restera une légende.

Journaliste Gwenaël Cadoret // Photographe Guilhem Canal

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