Texte par Gwenaël Cadoret // Photographies par Guilhem Canal
Joris, ton mois de mars a été perturbé par une blessure. Comment on vit ce moment où le corps lâche ?
C’est un peu complexe. Moi, je me donne à fond, pas à 70 %. On le sent quand on ne peut pas être au max. Forcément, quand on nous dit qu’on doit sortir, on est un peu dégoûté. On a l’impression d’abandonner malgré soi. On aimerait pouvoir donner encore pour l’équipe. Mais il faut savoir écouter l’avis médical, préserver son corps.
Un footballeur blessé, il s’ennuie ?
On a tellement envie de reprendre qu’on est concentré dans ce qu’il faut faire : se retrouver en salle à faire du cardio, recevoir des massages par les kinés, faire des examens, des soins… Ce sont des choses qui font partie du travail, mais qui sont moins agréables. Après, forcément, c’est frustrant. On est dans un rythme : les entraînements, les matchs. Quand on est sportif, on a envie d’être tous les jours sur le terrain, de se régaler. Quand on est allongé trois heures sur une table, le temps est plus long !
Ta blessure t’a privé du dernier rassemblement de l’Équipe de France U23 avant les JO. Tu es un titulaire en puissance. Cela t’inquiète ? Tu y penses aux JO ?
C’est forcément dommage. J’aurais aimé en être, car on est dans les dernières échéances avant la compétition. Tout jeune footballeur a envie d’être aux JO ! On n’a pas beaucoup d’occasions de les vivre : cela dépend de la tranche d’âge, de la décision du sélectionneur, du club. Pour moi, ce serait dur de ne pas y participer, car cela doit être une très belle expérience, surtout en France ! Après, il valait mieux prendre soin de mon corps. J’espère qu’en me soignant bien et en faisant une belle fin de saison, cela ira pour la suite.
Sur le terrain, tu es très expressif. Comment ça se passe en toi ?
Je vis les matchs à fond, je pense que cela se voit ! J’ai envie de m’arracher sur tous les ballons, tous les duels, tous les corners et coups francs… Je dois beaucoup à ce club : il m’a permis d’être là où j’en suis. Je pense que c’est le minimum de tout donner, même quand l’équipe a plus de difficultés.
Tu sembles être un teigneux, un dur sur le terrain…
Je pense que c’est nécessaire. On est dans un championnat assez physique. J’ai un gabarit pas très imposant par rapport à certains milieux de Ligue 1 ! Cette différence, il faut la compenser autrement. Si on a l’envie, cette ténacité dans les duels, cela peut permettre de sortir vainqueur avec le ballon.
À tes débuts, tu as fait une cravate sur Neymar, tu as marché sur le tibia de Kimpembe… Tu es un joueur méchant ?
Non, pas du tout. Je n’ai jamais l’idée de faire mal. Pour Neymar, je jouais l’un de mes premiers matchs. On est dans les cinq premières minutes, il voulait me faire un sombrero. Si je le laisse passer, c’est mort pour la suite. Je cherche donc à l’attraper pour faire faute, mais pas forcément à la gorge ! Le geste est impressionnant, mais ce n’était pas intentionnel. Quand j’ai écrasé le tibia de Kimpembe, je n’ai jamais cherché à le blesser. C’était juste une envie d’entrer fort dans les duels, pour sortir vainqueur du jeu. J’ai la conscience tranquille. Ils n’ont pas fini à l’hôpital !
Être à 200 %, n’est-ce pas mettre le frein ? Pourtant, les arbitres sont cléments avec toi !
Hormis quelques erreurs, je pense quand même maîtriser les trois quarts de mes gestes. Beaucoup d’arbitres vont voir si l’on est dans l’idée de jouer le ballon ou si l’on a l’intention de faire mal. Dans la plupart des duels, je ne cherche pas la faute. D’ailleurs, mes cartons jaunes, ce sont plus des fautes pour couper une action que des attentats !
C’est quoi ton rapport avec les hommes en noir ?
Il y a plusieurs phases dans un match. Parfois, je vais commencer par discuter, rigoler avec l’arbitre. Puis je vais basculer dans un autre état d’esprit, à la limite de la mauvaise foi. Cela fait partie du jeu de réagir face à des décisions qui ne vont pas forcément dans notre sens. Encore plus cette année, avec les résultats, c’est plus de l’énervement ou de la frustration.
Cette saison, tout le monde se souvient de ta course de fada derrière l’attaquant de Metz Mikautadze avant de l’empêcher de marquer. Qu’est-ce qui t’a pris ?
Ce qui fait un peu la différence, c’est que j’anticipe toujours une possible perte du ballon pour avoir un petit temps d’avance. Là, l’attaquant part du milieu de terrain. Je viens de commencer ma course. Je le vois devant moi, je ne pense pas le rattraper, parce que je ne suis franchement pas le plus rapide de l’équipe (rires). Mais je ne voulais pas lâcher. Il faut toujours ce brin d’espoir. Au début, je me concentre juste pour aller plus vite, puis je ralentis pour éviter de faire faute. J’ai un mètre de retard, il n’y a plus qu’à sauter le plus loin possible et espérer. J’ai de la réussi parce qu’il me tire dessus.
Tu ferais un super défenseur !
Ouais (rires). Lors des détections, Montpellier voulait me faire signer en défenseur central. Mes parents sont intervenus en disant que mon meilleur poste, c’était milieu. Mais j’ai toujours préféré avoir ce rendement défensif, soulager l’équipe, récupérer le ballon. Même si j’aimerais bien marquer de temps en temps !
Justement, tu as eu une énorme occasion contre Lens, des frappes de malade contre Lille. Ça ne veut pas rentrer !
C’est la première année que j’ai autant de possibilités de marquer. Contre Lens, je suis surpris : je récupère le ballon, je vois la cage vide… Il est censé y avoir un gardien ! Je me précipite et je prends mal le ballon. Contre Lille, j’ai eu affaire malheureusement à l’un des meilleurs gardiens actuels de Ligue 1. Mais je vais continuer ! On a envie, de temps en temps, de marquer. Cela aide l’équipe concrètement. J’ai tenté des frappes que peu de gardiens pourraient aller chercher. Même si, honnêtement, cela me semble encore plus important d’empêcher des buts. Surtout si cela se concrétise par des points.
L’an dernier, tu avais multiplié les passes décisives. C’est important pour un footballeur ?
La saison passée, on avait pas mal de réussite et de confiance. Des ballons provoquaient des buts alors que ce n’était pas prévu. Quand on tente une belle passe, on aimerait que cela aboutisse à un but, pour aider l’équipe. Si le collègue ne marque pas, on va râler un peu. Mais, il ne faut pas se focaliser. C’est une action parmi d’autres dans un match.
Jeune, tu jouais au Pontet. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment on choisit le centre de formation de Montpellier ?
J’ai été approché par pas mal de clubs : Sochaux, Nice, Marseille, Monaco… Montpellier a dû être le troisième. Il réunissait pas mal de caractéristiques : c’était à une grosse heure de là où vivaient mes parents, il y avait un très bon niveau sportif dans toutes les catégories. Et puis pas mal de jeunes pros sortaient du centre : il est important de se dire que c’est possible. Il y a des clubs avec plus de moyens qui ne comptent pas du tout sur les jeunes. On va peut-être gagner 500 euros de plus, mais on n’arrive jamais en pro.
C’est quoi le secret des recruteurs montpelliérains pour convaincre ?
Je pense que c’est l’ADN, l’identité du club, qui fait que les jeunes ont envie de venir. C’est un très bon club formateur. Le nom MHSC donne envie. Il y a aussi une forme de feeling. On sent que l’intérêt est total. Si un mec arrive et te dit : tu fais partie des 100, si lui n’est pas pris, tu es pris… On n’a pas envie d’arriver dans des conditions comme ça. À Montpellier, il y a un côté terre à terre, affectif. On ne parle pas direct de chiffres, de gains. C’est d’abord le projet global, scolaire, sportif. Et après on parle des détails d’un potentiel contrat. C’est ça, ce côté familial, qui donne envie. Le point le plus important, c’est le scolaire. À Montpellier, avoir le bac, c’est très important. On ne sait pas si l’on aura un contrat pro. Mais au moins, on aura la possibilité de continuer le cursus scolaire.
À 18 ans, Michel Der Zakarian t’a lancé en Ligue 1, contre Rennes. Cela a dû être une surprise !
Totalement ! Je n’étais pas du tout destiné à commencer aussi vite. Je n’avais pas fait le stage de présaison avec les pros. Lors du dernier amical, il y a eu un concours de circonstances : Téji (Savanier) et Jo’ (Ferri) venaient de se blesser. En début de match, Flo Mollet se fait mal. Je viens à rentrer au bout d’un quart d’heure. Je n’ai pas dû être trop mauvais : la semaine suivante, j’étais titulaire pour débuter la saison !
Ça fait quoi de basculer en une semaine en pro ?
Il fallait vite s’adapter. Des opportunités comme ça, il n’y en a pas 10 000 quand on est jeune. Si l’on rate notre match, on ne jouera plus. Il faut être dedans, montrer que l’on a le niveau. Même si c’est le premier match, on doit être prêt dans la tête, mature sur le terrain. Montrer au maximum que l’on a l’envie, le potentiel pour gérer.
Elye Wahi l’été dernier, Maxime Estève cet hiver… À Montpellier, les jeunes pépites s’envolent vite. Un jour, ton tour va venir…
C’est le métier. Très peu de joueurs restent toute une carrière dans le même club. Tout footballeur a envie de tester ses limites. Goûter au plus haut niveau qu’il peut atteindre. Après, c’est une question d’opportunités, de décisions. Elye sortait d’une grosse saison. Il a eu pas mal de demandes. Max également. Pour moi, c’est un sujet récent. Avant l’été dernier, je n’avais pas eu énormément d’approches.
Quitter la « famille », cela te ferait-il quelque chose ?
C’est forcément particulier, quand on n’a connu qu’un club, un staff, quelques coachs… Partir, on y pense parfois, mais franchement, on n’est pas impatient ! Il y a d’abord les objectifs du club. Quand ce sera le moment de faire un choix, on verra. Mais changer de pays, de culture, de langue… J’aurai pas mal d’appréhensions ! Il faudra que je me sente prêt, mais je n’en suis pas là.
Dans tes rêves, tu te verrais dans quels clubs ?
Il y en a plein : le Barça, City, le Bayern, Dortmund… Mais il y a des étapes avant d’avoir peut-être la chance d’en arriver là ! Honnêtement, je suis ouvert à tous les pays. Mais question de culture et de lieu de vie, ce serait plutôt l’Espagne. C’est ce qui se rapproche le plus du sud et de Montpellier. Pour l’Angleterre, je ne sais pas si je suis physiquement prêt ! Mais on verra bien, je ne sais pas du tout.
Quand on a 22 ans, gagner beaucoup d’argent, cela ne fait-il pas tourner la tête ?
Pas à moi, en tout cas. Je sais que beaucoup de gens galèrent dans la vie, parce qu’ils gagnent un dixième ou un centième des salaires de joueurs de Ligue 1. J’ai la chance d’être bien entouré : ma famille, mes proches m’aident à gérer ce changement total de vie… Si j’étais tout seul, ce serait impossible à mon âge ! J’ai toujours eu la tête sur les épaules. Je me fais plaisir, j’aime bien les voitures, les habits… Mais je ne flambe pas. J’ai conscience que ce que l’on gagne, c’est hors norme. Il ne faut donc pas en faire n’importe quoi.