Texte par Félix Lebrun // Photographies par FFTT – Rémy Gros
Le témoignage que vous allez découvrir est exceptionnel. À dix-sept ans, Félix Lebrun est l’une des nouvelles étoiles du sport français. Devenu 5e mondial (au 26 mars), il offre avec son grand frère Alexis (vingt ans, 21e mondial), une visibilité inédite au tennis de table en France. Et constitue un miracle pour le Montpellier Tennis de Table (devenu l’Alliance Nîmes-Montpellier Tennis de Table). Un club légendaire détenteur de deux coupes d’Europe, mais dont l’équipe masculine était en sommeil depuis près de vingt ans. Cette histoire est celle d’une famille : le père, Stéphane, fut 7e français avant de devenir coach puis directeur sportif à Montpellier. L’oncle, Christophe Legoût, a été 14e mondial. La maman, Dominique, s’occupe, entre autres, de la presse et de la communication… Les sœurs Margaux et Roxane sont toujours présentes, dans l’ombre. Le clan – ils se surnomment la « Team Lebrun » – fait tout pour préserver les deux jeunes champions, sollicités de toutes parts, conscient que la performance nécessite repos et sérénité.
Il aurait été impossible d’organiser une interview croisée entre les deux frangins. Mais Trust a eu un coup de chance. Il y a quelques mois, notre journaliste Gwenaël Cadoret a animé un atelier d’écriture dans la classe de lycée de Félix, à la Cité scolaire Françoise Combes (Montpellier). Très souvent en déplacement, il avait pu participer au début d’une séance, commençant à écrire son parcours, sa passion, ses rêves. Il avait très envie d’en dire plus : avec la bénédiction de Dominique, il a poursuivi l’exercice à distance, entre chambres d’hôtels et vols long-courriers. Nous l’avons aidé à affiner, compléter, mettre à jour son texte. Félix a accepté avec enthousiasme sa publication.
Ses mots sont spontanés, touchants, d’une grande authenticité. Félix évoque ses premiers pas, la technique du jeu, sa fameuse prise de raquette en porte-plume. Il décrit aussi sa vie particulière d’adolescent, qui fait son possible pour conjuguer carrière sportive et scolarité. Surtout, ce témoignage dessine une trajectoire d’étoile filante, des premiers titres en catégorie jeune à l’explosion dans le monde professionnel.
En deux ans, Félix a changé de statut. Ayant remporté trois tournois majeurs, il est désormais l’un des meilleurs pongistes du globe, rivalisant avec les « invincibles » Chinois. Une statistique résume le « phénomène » : c’est le troisième plus jeune joueur de l’histoire à intégrer le top 5. Une marche reste encore à franchir. Malgré son classement et ses titres, il n’a jamais battu Alexis, pourtant « seulement 24e mondial », en match officiel. Lors de la finale des championnats de France à Montpellier, le 24 mars dernier, on a été touché par ses larmes, suite à une nouvelle défaite face à son aîné. D’abord à sens unique, ce match fut finalement un combat de titans. La rivalité reste saine : la solidarité fraternelle prime toujours, comme en témoigne leur titre en double obtenu à Montpellier.
Désormais, Félix n’a plus qu’un objectif : se préparer aux Jeux olympiques de Paris. Avec Alexis, ils représentent un immense espoir de médaille(s), et sont devenus malgré eux des ambassadeurs de l’événement. Même s’ils rappellent modestement à quel point ce sera complexe face à l’armada chinoise, un podium serait le rêve du jeune surdoué de la petite balle. Si la breloque n’est pas là, ce n’est pas si grave : pendant la prochaine décennie, la fratrie aura bien d’autres opportunités de faire rayonner le « ping-pong » français.
“ Pongiste de haut niveau à 17 ans, j’ai une vie originale ”
« Je m’appelle Félix Lebrun et j’ai dix-sept ans. J’ai commencé le tennis de table à trois ans. Toute ma famille pratiquait ce sport : mon oncle a été 14e joueur mondial et a participé trois fois aux Jeux olympiques. Mon père est parvenu au 7e rang français puis il est devenu entraîneur au Montpellier Tennis de Table. Il nous emmenait très souvent au club. Avec mon frère Alexis (qui a trois ans de plus), on était dans le groupe de « Baby-ping » (trois à six ans). On s’amusait pendant des heures… Au début, j’étais assis sur la table, car j’étais trop petit pour voir la balle ! J’ai tout de suite adoré ce sport. Mes parents m’ont raconté que je jouais même contre le mur de la maison.
Mon papa m’a soutenu pour que je progresse, mais il ne m’a jamais forcé. C’est moi qui lui demandais toutes les cinq minutes de jouer ! Cela peut sembler bizarre, mais je me suis fixé très tôt l’objectif de devenir le meilleur possible. Un jour, quand j’avais sept ans, j’ai même écrit sur un bout de papier que je voulais « devenir champion olympique, et mon frère deuxième » ! Mes parents devaient en sourire, mais ils nous encourageaient.
Cette ambition précoce peut étonner. Mais moi, cela m’a fait vibrer chaque jour. J’ai été très vite performant dans les catégories de jeunes : champion de France moins de 13 ans, moins de 15 ans, et moins de 18 ans. J’ai même obtenu un titre de champion d’Europe des moins de 15 ans. Cela m’a permis de croire de plus en plus en mes chances. Cela me donnait un surplus de motivation, l’envie de m’entraîner encore plus. Pour Alexis, c’était pareil. Malheureusement, il a été énormément blessé entre treize et quinze ans. J’aime ce sport, car il est très complet.
On peut tout le temps s’améliorer aux niveaux physique, technique, tactique ou mental. Cela demande beaucoup de réactivité et d’automatismes. On se bat contre le temps. On doit en un instant réussir à analyser la balle, l’endroit où il faut l’envoyer. Elle peut aller de 110 à 130 km/h, sachant que la distance entre les deux joueurs est de trois à quatre mètres. Pendant l’échange, on n’a donc pas le temps de réfléchir ! Je me suis démarqué par ma prise de raquette. Je la tiens comme un stylo, en « porte-plume ». J’ai choisi de jouer ainsi comme un ancien joueur chinois de Montpellier, Chen Jian, qui utilisait cette prise et faisait partie des 30 meilleurs mondiaux. Mon père m’a raconté que lorsque je l’ai vu, à 4 ans, j’ai voulu l’imiter.
Cette technique offre certains avantages, car le poignet a plus de liberté, donc j’ai plus d’options techniques. L’inconvénient, c’est parfois un manque de puissance, car je n’ai que deux doigts qui tiennent la raquette. La prise normale, dite « orthodoxe », permet d’avoir toute la main sur le bois. Ma technique peut déstabiliser mes adversaires, car les trajectoires de balles ne sont pas les mêmes. Mais ils s’y habituent vite. J’ai grandi à Saint-Gély-du-Fesc. Dès que j’ai eu huit ans, mes parents m’ont proposé de faire un sport-études à Montpellier. Un pôle ouvrait, créé par mon père et ses collègues. J’ai eu beaucoup de chance, car j’ai connu des établissements scolaires très compréhensifs. J’ai souvent été dans des classes sportives, où je pouvais croiser des hockeyeurs, volleyeurs, footballeurs, tennismen…
Mes enseignants ont accepté mes absences à répétition et m’aidaient à rattraper les cours, pour que je puisse garder le rythme. Mes camarades suivaient mes résultats. Mais je crois qu’ils se demandaient pourquoi j’étais si souvent absent dès mes dix ans ! J’ai participé très tôt à des stages partout dans le monde. Le premier était en Russie. Depuis, je voyage énormément, c’est incroyable à mon âge. En 2023, j’ai passé 250 jours à l’extérieur de Montpellier. Découvrir d’autres cultures et paysages, c’est fabuleux. Nous partons pour les compétitions, mais dès que nous le pouvons, nous visitons les pays. J’ai été marqué par le Japon, dans le cadre d’un stage avec l’équipe de France des moins de treize ans. C’était mon premier long déplacement. Je suis resté trois semaines là-bas.
Je voyage souvent avec mon frère Alexis, car on participe aux mêmes compétitions. On part avec notre entraîneur Nathanaël Molin et de temps en temps notre préparateur physique Jérémy Surault ou notre kinésithérapeute Julie Bernardin. Mes parents ne peuvent pas nous suivre à chaque fois. Aujourd’hui, je suis en terminale à la Cité scolaire Françoise Combes de Montpellier. La Première s’est plutôt bien passée. J’ai tenu le rythme, mais j’aurais aimé réussir un peu mieux mes épreuves de français ! Mes parents, amis et professeurs m’encouragent à continuer le sport tout en restant en contact avec l’école. Depuis l’an dernier, je suis les cours à distance. Ce qui est le plus dur, c’est qu’il faut être autonome.
Il faut se mettre au travail tout seul, en évitant les distractions. Pour le moment, ça me va bien. Pour donner un ordre d’idées, l’an dernier, je n’ai été que vingt jours au lycée. C’est forcément difficile. D’ailleurs, nous avons décidé avec mes parents de faire l’année de terminale en deux ans. Il y a les JO. Ce serait trop compliqué de réviser pendant la dernière ligne droite de la préparation ! J’ai intégré le circuit international senior en novembre 2021. Lors de mon premier match, j’étais un peu stressé, mais finalement j’ai réussi à faire une compétition exceptionnelle en battant le numéro 25 mondial directement. J’avais alors quatorze ans. Pour mes adversaires, l’effet de surprise a pu les rendre plus nerveux. On ne s’attend pas à affronter un adolescent capable de vous battre ! Aujourd’hui, avec mon frère Alexis, nous n’avons plus le même statut. Nous sommes rentrés dans les meilleurs joueurs mondiaux depuis maintenant deux ans.
“ On sent que les Chinois commencent à nous craindre ”
Pour le moment, ma progression se passe super bien, je suis numéro 1 européen et numéro 6 mondial avec des résultats extraordinaires pendant les huit derniers mois. Avec Alexis, nous avons une rivalité, mais jamais de jalousie. Nous avons toujours essayé de nous aider au maximum. Nous avons un niveau similaire. On peut vraiment se tirer la bourre. Je ne l’ai jamais battu en compétition officielle. Il connaît mon jeu par cœur, il arrive à me « coincer ».
On peut donc dire que pour le moment il reste meilleur que moi en face à face, mais au classement j’ai réussi à le dépasser ( on peut se charrier là-dessus de temps en temps 🙂 ). Au début, les matchs entre nous étaient forcément un peu spéciaux. Mais aujourd’hui nous avons pris l’habitude de nous rencontrer. Nous n’avons plus de problème à nous donner à 1000 %. On en profite un maximum. On passe de super bons moments ensemble. Je suis super fier d’être dans le top 10 mondial à dix-sept ans, mais j’espère aller encore plus haut ! Il y a déjà eu quelques adolescents qui y sont arrivés, notamment le Japonais Harimoto Tomokazu, numéro 4 mondial à 15 ans.
Mon premier grand titre, c’était en juin 2023 : les Jeux européens, une compétition majeure. J’avais enchaîné dix victoires. C’est l’un de mes meilleurs souvenirs en tant que pongiste. Depuis, j’ai remporté deux tournois sur le circuit professionnel : un Contender à Antalya (Turquie) et un Star Contender à Goa (Inde). Je sens que tout le travail mené avec « la Team », l’équipe qui travaille autour de nous, commence à payer. On se rapproche de plus en plus des Chinois. Ils étaient invincibles il y a encore quelques mois. Mon frère a déjà battu le numéro 1 mondial. On sent qu’ils commencent à nous craindre.
Depuis ces performances, nous sommes reconnus de temps en temps, surtout dans les aéroports, quand nous voyageons ensemble, ou à Montpellier, quand nous allons manger près de notre salle d’entraînement. Deux frères de haut niveau dans le même sport, ce n’est pas commun. L’engouement médiatique est grand. Nous sommes très fiers de voir nos têtes dans les grands médias. Ma mère et mon entraîneur gèrent les demandes, pour que nous restions concentrés sur le Ping-Pong. Il y a beaucoup de sollicitations ces temps-ci, donc nous ne pouvons pas tout accepter. Je pense que je jouerai jusqu’à ce que mon corps me dise stop. En général, dans le ping-pong, c’est entre 35 et 40 ans. J’aimerais ensuite devenir entraîneur, pour transmettre mon expérience aux autres. Aujourd’hui, mes résultats me donnent forcément envie de croire à mon rêve ultime : les JO de Paris. L’année dernière, je n’aurais pas imaginé atteindre mon niveau actuel. Je ne me fixe donc aucune limite. Mais obtenir une médaille, ce serait incroyable. Le plus beau, ce serait un podium avec mon frère en simple ou par équipe !