Texte par Philippe Pailhories // Photographies par Aurélia Frantz
C’est peut-être son dernier défi, comme une énième gageure. Caroline Suné a trente-huit ans. Des envies, presque des démangeaisons. L’envie de se confronter pour de vrai. Enfin. Les yeux dans les yeux. La date est cochée : du 11 au 16 novembre 2024. Le pays l’attire. L’Islande. Au sud du cercle polaire arctique. La date est cochée, mais le chemin pas encore balisé. Caroline Suné disputera ces Championnats du monde. C’est certain. Elle s’entraîne dur dans son havre frontignanais. Elle sera prête. Prête à quoi ?
La question trotte dans sa tête. En boucle. Caroline Suné n’est pas professionnelle comme la plupart de ses concurrentes. Elle ne pratique que depuis dix ans. Les subtilités à peine maîtrisées, elle est pourtant devenue vice-championne d’Europe puis a achevé les championnats du monde à la quatrième place. Elle est encore capable de les toiser, parfois les dominer, mais elles conservent toutes cet avantage, celui de se dévouer corps et âme à la discipline. À Reykjavik, les trois premières auront le privilège de composter leur billet pour les World Games de Chengdu, programmés en août 2025. « Je n’ai jamais participé aux World Games, souligne-t-elle, une compétition pourtant très prisée des athlètes. Je n’ai jamais, finalement, accordé la priorité à ma carrière. J’ai très envie de remédier à ça. De voir jusqu’où je peux aller en repoussant mes limites, en me préparant comme une professionnelle. En fait, je suis une sportive de haut niveau, recensée comme telle sur les listes ministérielles, mais je reste fondamentalement une sportive amatrice. Cette idée de me donner à fond, de ne penser qu’à ça, de ne vivre que pour ça, m’intéresse au plus haut point. »
“ Je me sens capable de relever cet ultime challenge ”
Caroline Suné est une sportive accomplie. Alors qu’elle était petite, une blessure au genou l’a écartée des terrains de handball sur lesquels Branko Karabatic l’avait accompagnée. Quelques différends l’ont ensuite privée d’une grande carrière au rugby. Elle a très vite compris, en fait, que dans le tourment, les épisodes douloureux, elle devrait puiser la force d’exister. « Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort » a dit Friedrich Nietzsche. Caroline Suné est une femme forte. Courageuse. Construite dans la galère, à force de labeur, d’un investissement jamais démenti. De Nîmes à Marcoussis, elle a découvert des chemins semés d’embuches, de pièges et de leurres. Elle s’en est accommodée. Sans rechigner ni s’échapper. « C’est mon parcours, dit-elle, et je ne le changerais pour rien au monde. »
Cette femme forte est à nouveau épanouie après une période délicate. « Je crois que j’ai fait un burn out, soupire-t-elle. C’était dur physiquement. Psychologiquement aussi. » Elle a coupé six mois. Songé à tout arrêter. Elle était devenue irascible. Elle se recroquevillait. Ne fréquentait plus ses amis. « Mes proches m’ont beaucoup aidée », sourit-elle. Caroline Suné est adjointe au Maire de Frontignan, en charge des sports – évidemment -, et des loisirs de pleine nature. Elle est aussi, depuis 2021, manager de l’équipe de France féminine de rugby U20. Ses missions la réjouissent, elle s’apprête à emmener cet été ses gamines à Parme, disputer les Summer Series. À continuer à les aider à grandir.
Épanouie, mais… L’idée de tirer sa révérence sur le podium de la scène islandaise la titille, la hante parfois. Elle a depuis longtemps fait le choix du métier plutôt que du sport. Elle est professeur de sport, Conseillère Technique Sportive rugby, cadre technique de la Ligue Occitanie. Mais si, pour une fois, elle privilégiait sa carrière sportive… Elle a, en tout cas, une idée derrière la tête. Elle aime son mandat auprès des U20. Mais elle aimerait relever un autre challenge. Pourquoi pas entraîner une équipe de France masculine… « Je ne suis pas loin d’avoir fait le tour avec ces filles, dit-elle, et j’ai besoin de mener d’autres défis. » Elle a fait part de son souhait à la Fédération.
Caroline Suné n’a pas la langue dans sa poche et ça lui a d’ailleurs, parfois, joué quelques vilains tours. « Je suis honnête, authentique », synthétise-t-elle. Elle attend maintenant une réponse. Et de cette réponse dépendra son attitude vis-à-vis de la force athlétique… « Si la Fédération ne satisfait pas à mes requêtes, assure-t-elle, je pourrais tenter cette aventure à fond, oui. J’ai la chance d’avoir 60 jours dans mon compte épargne temps. Je me connais, je sais que je suis capable de performer si j’exploite chacun d’entre eux. »
Elle ne prononce jamais le mot, mais il y a comme une sorte de frustration qu’elle voudrait gommer avant de tirer sa révérence. Frustration de ne pas avoir pu exprimer son potentiel au Pôle Espoir Handball de Nîmes. De n’avoir pas intégré l’équipe de France de rugby. Championne de France avec Toulouges puis Montpellier, capée avec les A, capitaine à la Coupe du monde universitaire de rugby à 7, la porte s’est subitement refermée. « J’ai dit à l’entraîneur qu’il n’était pas compétent. Du jour au lendemain, je n’ai plus été appelée en équipe de France. Alors je suis partie en Angleterre et j’ai décroché le titre avec Richmond. J’ai aussi démarré mon Master là-bas. »
Le fameux parcours qu’elle ne changerait « pour rien au monde ». Mais cette fin de carrière annoncée, ce besoin de se mesurer, l’envie de se challenger, la poussent à se poser cette question : et si, puisque c’est la dernière fois, je tentais le tout pour le tout ? « Le sport m’a usée, soupire-t-elle. Je souffre d’une chondropathie de type 4, et certains, au rugby notamment, auraient dû mieux me protéger. Mais je suis là et je me sens capable de relever cet ultime challenge. » Aller à Reykjavik pour le plaisir simple d’une dernière épopée ou pour jouer la gagne, tel est le dilemme…