Texte par Marie Gineste // Photographies par Guilhem Canal
Je crois savoir que votre histoire familiale est étroitement liée à votre histoire sportive…
Christophe : C’est mon père Claude, qui m’a mis au karaté à l’âge de cinq ans. Il était commerçant, mes parents avaient besoin, je crois, de me « canaliser ». (Rires)
Lui-même pratiquait-il cette discipline ?
Christophe : Absolument pas ! Je suis issu d’une famille de « non-sportifs ».
Et en fait, le coup de cœur est-il immédiat pour vous ?
Christophe : Pas vraiment. J’étais plus attiré par des sports comme le skate. C’est quand j’ai commencé la compétition vers onze ou douze ans, que les choses ont changé.
J’ai entamé à performer vers seize ans. Je suis entré au Pôle France de Montpellier. J’ai été athlète de haut jusque’à mes vingt-deux ans.
Gagnez-vous votre vie avec le karaté ?
Christophe : Non. C’est pour cela que j’ai passé des diplômes pour être coach sportif. Mon père était commerçant sur Palavas, il avait un bateau de promenade et de pêche en mer. Il bénéficiait d’un certain réseau de connaissances à la Mairie. J’ai arrêté la compétition et on a ouvert le club de karaté en 2004. J’ai commencé à coacher des particuliers et des entreprises dans la région de Montpellier. En 2015, je suis devenu coach pour la marque Puma France. J’ai développé la partie running. J’ai imaginé des groupes pour faire du marathon. J’avais créé un programme qui s’appelait «Run with me ».L’idée consistait à prendre des personnes qui n’avaient jamais couru et de les amener à participer à un marathon. J’ai fait beaucoup de coaching sur Paris, à l’Hôtel Costes notamment. J’ai préparé Aurore Kichenin pour Miss France et puis pour Miss Monde. J’ai coaché beaucoup de sportifs également.
Vous avez travaillé à la télévision aussi je crois …
Christophe : Oui, j’ai fait une émission sur M6 qui s’appelait « Forces Spéciales ». C’était comme une « télé-réalité » où vingt personnes de la société civile suivaient l’entraînement des forces spéciales.
Vous êtes à l’initiative d’Agora Sport Concept. Comment l’idée vous est-elle venue, et quel en est le concept ?
Christophe : En 2016, je suis envoyé par Puma à Miami pour la convention des coachs « monde ». Un matin je cours sur la plage et je vois des groupes de personnes en train de faire du yoga. J’ai trouvé ça génial et en discutant, un participant m’explique que c’est gratuit, que c’est la Mairie qui finance la prestation des coachs et qu’il n’y a pas besoin de s’inscrire. Que l’on a juste à venir faire du sport. J’ai lancé le concept en France l’année d’après. Aujourd’hui, l’on peut retrouver ces espaces de sports en plein air, éphémères, gratuits et ouverts à tous, à Palavas, à Grammont et à La Grande Motte. On génère à peu près 5 000 à 6 000 passages par saison, de juillet à septembre. On est en plein développement. Il y a des cours de yoga, de pilates, de renfo, de zumba, de cardio…
En parallèle, vous vous occupez toujours du club de karaté de Palavas et de la carrière de Paolo, votre fils…
Christophe : Oui je voue presque 90 % de mon temps à développer sa carrière.
Paolo, à quel âge as-tu commencé le karaté ?
Paolo : J’ai toujours été sur les tatamis et j’ai commencé dès mon plus jeune âge. Au début, c’était un loisir. À l’âge de six ans, j’ai commencé la compétition. Coïncidence, ma première s’est déroulée le jour de l’anniversaire de mon père. J’étais comme lui, j’étais un enfant qui débordait d’énergie et j’avais besoin de faire du sport. J’ai touché à d’autres disciplines. J’ai pratiqué du tennis, de la gym…
Christophe : Je n’ai jamais voulu le pousser, je ne l’ai obligé à rien. En tant que coach, je me suis simplement dit qu’il irait là où il aurait les meilleures aptitudes. Il s’est avéré que cela a été le karaté ! (Rires)
Qu’est-ce qui a déclenché l’envie d’une carrière pro ?
Paolo : C’est arrivé il n’y a pas si longtemps. J’ai eu envie que cela soit plus qu’un simple loisir. J’ai eu envie de m’investir davantage. En septembre, j’entre au Pôle France de Montpellier.
Christophe : J’étais au Pôle de Montpellier aussi quand j’étais jeune. Ils l’ont fermé dans les années 2000. Et là, ils le rouvrent. Les choses s’alignent.
Paolo, qu’est-ce qui te plaît dans cette discipline ?
Paolo : J’aime ce qui touche de près ou de loin à la culture japonaise. Le karaté en fait partie. J’adore par exemple la série Netflix Cobra Kai sur le karaté, même si c’est « à l’américaine ».
Quelles sont les valeurs autour de ce sport ?
Christophe : La première valeur cardinale, c’est la discipline. L’humilité aussi. On commence par un salut, on finit par un salut. Le fait de s’incliner demande de l’humilité. On apprend à travailler avec son corps dans l’espace, c’est compliqué. Quand on tape sur quelque chose, c’est plus facile. Et puis cela nécessite beaucoup de rigueur et de la précision.
“ LE FAIT DE S’INCLINER DEMANDE DE L’HUMILITÉ. ”
Paolo : Le karaté demande un contrôle absolu. On n’a pas le droit de toucher.
Quel est ton palmarès ?
Paolo : J’ai fait deux finales mondiales dans la Ligue des Jeunes, une à Venise et une à Dubaï, et une troisième place sur la Ligue Mondiale des Jeunes en Corogne, en Espagne. En national, j’ai fait vice-champion de France par équipe, vice-champion de France de la Coupe de France zone sud. Troisième de l’Open France…
Christophe : Il est 16e mondial, donc il est dans les meilleurs. On est obligé pour garder le ranking, de participer à la Ligue Mondiale sur tous les continents.
Paolo : Il y en avait une récemment en Croatie. Je n’ai pas pu y participer parce que je passais le Brevet.
Vous devez avoir de beaux souvenirs partagés…
Christophe : Je vais vous raconter une histoire. J’ai arrêté ma carrière en 2004. Il y a quelques années, Paolo me regarde et me dit « Papa, j’aurais aimé te voir combattre ». Cela faisait plus de quinze ans que j’avais arrêté. Le lendemain, sur Facebook, je vois un ami qui organise l’Open International de New York. Je lui ai écrit : « Si je m’inscris, est-ce que je peux combattre en élite ? » Je ne voulais pas combattre avec des seniors. Même si j’avais presque 40 ans. Et il m’a répondu « Je connais ton niveau, il n’y a pas de souci » . J’ai tout arrêté pendant six mois. Je me suis remis à m’entraîner quatre heures par jour, six jours par semaine, de manière à perdre trois – quatre kilos, avoir la préparation physique nécessaire. On est partis en famille, avec ma femme qui ne m’avait jamais vu combattre non plus, mon père qui m’a toujours accompagné, j’ai même pris ma belle-mère ! (Rires) Le 19 avril 2019, nous étions à New York. Je combattais le matin et Paolo l’après-midi. Paolo a fini deuxième et moi j’ai perdu en finale mais face à des athlètes de 25 ans.
Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
Christophe : De l’apaisement, je fermais le livre. Et je suis passé à la transmission à 100 %. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs, de ma carrière sportive mais de ma vie personnelle.
À quoi ton quotidien ressemble-t-il ?
Paolo : Je vais au collège, de 8h à 17h. Ensuite mon père me récupère, et on s’entraîne une bonne heure au club à Palavas. Ensuite, je rentre et je fais mes devoirs.
Et cela tous les jours de la semaine ?
Paolo : Les lundi, mardi, mercredi et jeudi. Je n’ai pas trop le temps de profiter ! (Rires)
Cela ne doit pas être évident de garder le cap au niveau scolaire… Paolo : En effet. Il faut que je rattrape les cours. J’ai la chance d’être dans un établissement avec un directeur assez ouvert et à l’écoute, mais le système éducatif dans lequel je suis n’est pas adapté. J’arrive à me débrouiller mais je rate pas mal de cours, et ce n’est pas évident de les rattraper, car il n’y a pas de structure autour de cela, je dois passer par les autres élèves, et c’est parfois un peu compliqué. Dès septembre, les choses vont devenir plus simples… Mon lycée et mon programme vont être adaptés.
Et travailler avec son père, qui en plus est un ancien champion, n’est-ce pas trop difficile ?
Paolo : Ce n’est pas facile tous les jours parce qu’il est à la fois mon père, mon manager, mon coach. Je l’appelle « mon couteau suisse ». Il est là pour tout. Le plus difficile a été de faire la part des choses en compétition entre mon père et le coach. J’ai longtemps eu des difficultés à faire la différence et cela m’arrivait d’être un peu trop dans l’émotion. À la fin d’un combat, je me permettais de dire des choses que je n’aurais jamais dites à un coach.
Christophe : Cela fait partie de la préparation mentale aussi. Parfois, il faut savoir déléguer, quand la communication ne passe plus. On a fait appel à une préparatrice mentale sur Montpellier qui s’occupe de Paolo et qui lui a permis de remettre un petit peu les choses à plat et de comprendre le positionnement de chacun.
Vous parlez de déléguer, avec son entrée au Pole, vous allez être moins présent ?
Christophe : Il va passer un step. Je serai là mais sur d’autres aspects. Par exemple, je gère ses réseaux sociaux aujourd’hui. Il a plus de 15 400 personnes qui le suivent, ça donne un élan, les gamins sont fans de lui, ils lui demandent des photos. Parfois les sportifs sont trop dans le sport et oublient un peu les leviers extérieurs.
Tu n’as que 14 ans, n’est-ce pas difficile parfois toute cette pression ?
Paolo : Il y a surtout parfois un peu de frustration.
Christophe : Paolo a la double nationalité franco-espagnole. Au mois d’avril, il s’est cassé le coude, trois semaines avant les sélections pour les champions du monde de karaté en équipe de France. On continue à s’entraîner même avec le coude cassé, le bras dans le plâtre, pour la Ligue Mondiale des Jeunes à la Corogne en Espagne. Il fait un résultat exceptionnel. L’équipe d’Espagne le sélectionne pour les championnats du monde en octobre. Sauf qu’il entre au Pôle France. Ils refusent comme c’est la structure de l’équipe de France, qu’il combatte pour un autre pays. Ce qui s’entend parfaitement. Mais c’est une déception à gérer. Je suis hyper déçu qu’il ne puisse pas vivre un championnat du monde. Mais il faut aussi qu’il comprenne qu’il en vivra d’autres.
« EN 2026, IL Y AURA LES JEUX OLYMPIQUES DE LA JEUNESSE AU SÉNÉGAL,À DAKAR, ET LA DISCIPLINESERA AU PROGRAMME ”
Comment cela se fait-il que tu combattes aussi en Espagne ?
Paolo : Ma mère est d’origine espagnole, elle est née en France mais elle a la double nationalité dont j’ai hérité. Je parle couramment espagnol et anglais.
Christophe : On voulait tout de suite lui donner des outils pour qu’il se débrouille à l’international. Les week-ends en France où il n’y avait pas de compétition, il partait concourir en Espagne.
Quels sont tes objectifs ?
Paolo : À court terme, être champion de France et être sélectionné pour les championnats du monde. Entrer dans le top 5 mondial. Et à long terme, ce serait d’être champion d’Europe et du Monde.
Est-ce la compétition qui te fait rêver ?
Paolo : Exactement. C’est le rêve de tout athlète qui n’est pas dans un sport olympique.
N’est-ce pas frustrant pour un athlète de se dire qu’on ne participera pas aux JO ?
Paolo : C’est dommage de ne pas faire partie de cette grande fête du sport que sont les Jeux olympiques. Mais en 2026, il y aura les Jeux olympiques de la Jeunesse au Sénégal, à Dakar, et la discipline sera au programme.
As-tu tes chances?
Paolo : Les sélections sont très très compliquées. Mais cela fera partie de mes objectifs.
As-tu pour ambition de faire des études en parallèle après le Bac ? Paolo : J’envisage d’exercer un métier tourné vers le sport et à l’étranger. Aux États-Unis, au Canada, aux Émirats arabes unis… tous ces pays qui sont anglo- saxons ou autres, mais qui sont très ouverts d’esprit en termes de sport. Être coach sportif ou coach indépendant pour un athlète ou une équipe sportive ou autre, mais dans le milieu du sport. Sinon du journalisme sportif.
Y a-t-il des athlètes qui t’inspirent aujourd’hui ?
Paolo : J’aime beaucoup le basket, j’ai toujours apprécié la mentalité de travail de Kobe Bryant. Sa discipline, de continuer à travailler même dans la douleur, dans la blessure. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour des athlètes d’ici, comme Arthur Cazaux ou Kévin Mayer. Il y a des karatékas que j’aime beaucoup dans leur style aussi.
Peut-on vraiment parler de style dans le karaté ?
Christophe : Oui, certains sont plus athlétiques, d’autres vont être plus sur les techniques de poing. Il y en a qui vont être plus spectaculaires, ça dépend un peu des personnalités des athlètes.
Et toi, comment te positionnerais-tu ?
Paolo : Je sais quasiment tout faire. Dans n’importe quelle situation, je saurai avoir la technique. Le truc c’est d’avoir ses propres techniques, son petit truc personnel qui peut devenir sa marque de fabrique.