Il a préféré aller se coucher et laisser ses Lionnes s’enivrer. Éreinté par ces dix jours de compétition, il s’est assoupi. « J’ai rêvé que mon père venait me voir dans la chambre pour me dire : bravo mon fils pour cette médaille de bronze. Je suis fier de toi. À sept heures du matin, ma soeur m’a appelé pour me dire que papa était mort, fauché par le Covid. » Ahmed Mbombo Njoya n’oubliera jamais cette nuit du 26 septembre 2021. La veille, il avait guidé ses filles sur la troisième marche du podium du Championnat d’Afrique au palais des sports de Yaoundé. Le Cameroun n’avait plus battu le Sénégal depuis 1960… Quelques jours plus tard, lorsqu’il a été reçu au ministère des Sports, il était assis sur un fauteuil au-dessus duquel trônait le portrait du sultan Ibrahim Mbombo Njoya, roi des Bamouns, ce peuple installé depuis sept siècles dans les montagnes de l’ouest du Cameroun. « Le ministre m’a dit : tu as vu qui te regarde ? » Ibrahim Mbombo Njoya s’est éteint à 83 ans, au petit matin, à l’hôpital américain de Paris. Il était le dixneuvième sultan des Bamouns. Diplômé de l’Institut d’Études Administratives de Dakar, il avait intégré l’administration camerounaise en 1958, en tant que secrétaire du haut-commissaire de la République Française au Cameroun. En 63 ans, il aura occupé à sept reprises des fonctions ministérielles, et à deux reprises celle d’ambassadeur. Proche de Paul Biya, il était considéré comme l’un des hommes les plus influents de la République. Ahmed Mbombo Njoya garde de son père le souvenir d’un homme passionné de sport, président de la Fédération camerounaise de football entre 1961 et 1964, et même ministre des Sports en 1984, lors de la première CAN des Lions indomptables, celle de Roger Milla… « On parlait de tout, il était ouvert, mais le foot avait sa préférence », se souvient l’adjoint de Valéry Demory au BLMA. Ahmed Mbombo Njoya est né à Yaoundé, mais il a grandi au Caire, où son père venait d’être nommé ambassadeur. Il y a appris l’arabe littéraire. « L’histoire familiale est à la fois riche et un peu, disons, extravagante, sourit-il. Ma mère est d’origine espagnole. Mon père a hérité du sultanat à la mort de son père, Seidou Njimoluh Njoya, en 1992. Ils se sont connus très jeunes. Ma grand-mère avait émigré en Guinée équatoriale, une ancienne colonie espagnole, où elle a rencontré mon grandpère. Maman est née là-bas. Mon grand-père voulait l’envoyer à Barcelone, ma grand-mère l’a appris et s’est enfuie avec elle à bord d’une pirogue, avec un simple baluchon, direction Kribi. Ils ne se sont jamais revus. » En 1980, à l’âge de sept ans, Ahmed est revenu étudier au lycée Fustel-de-Coulanges à Yaoundé. En 1991, il a quitté le Cameroun pour la France. « Mon frère était parti en éclaireur dans les Ardennes, raconte-t-il. Je l’ai rejoint au lycée Mabillon à Sedan où j’ai commencé à jouer au basket. J’ai passé mon bac puis je suis parti à l’université à Nancy. En Erasmus, j’ai rencontré une jeune fille flamande. Je l’ai suivie à Bruxelles où je suis resté deux ans, le temps de passer un BTS tourisme. » Il a ensuite été hébergé par une tante à Montpellier où il a validé un BTS en gestion hôtelière. « J’ai surtout commencé à considérer le basket très sérieusement, indique-t-il. J’ai joué à Frontignan. Puis j’ai tenté l’aventure de l’étranger. Je suis parti à Casablanca. Ce fut une belle expérience aux côtés de personnes géniales. Je suis revenu en Corrèze, en N1, j’y ai rencontré mon épouse, Jelena, lors d’un stage. Elle est partie à Limoges. Je l’ai suivie. En fait, je n’étais jamais loin de là où elle jouait. Nous nous sommes installés à Frontignan. Je devais avoir une trentaine d’années quand j’ai été victime d’une rupture des ligaments croisés. Mon épouse et l’un de mes frères m’ont suggéré de passer mes diplômes d’entraîneur le temps de ma convalescence. » La suite relève de délicieux concours de circonstances. « J’ai commencé à travailler comme vacataire à la Mairie de Mauguio, énumère-t-il, j’ai notamment participé à la création d’un centre de loisirs à vocation sportive. J’ai passé les concours de la fonction publique et j’ai intégré le service des sports. En parallèle, j’entraînais à Frontignan, et aussi des jeunes à la Croix d’Argent. À sept/huit ans, ma fille s’est mise au basket à Lattes. Le club m’a proposé d’entraîner une saison au centre de formation. Je me suis occupé des espoirs puis Damien Leroux m’a proposé de rempiler. C’est alors que j’ai commencé à mûrir l’idée de me consacrer entièrement à ce métier-là. » Dans ce même temps, il fait acte de candidature à la Fédération camerounaise. Après un premier refus, le président lui propose d’épauler l’Américaine Natosha Cummings-Price. Puis Edwige Lawson lui offre la possibilité d’assister Thibaut Petit à la tête du BLMA. Et à l’aube de la CAN 2021, il devient sélectionneur du Cameroun, un poste qu’il conserve en dépit de l’élimination en quart de finale l’été dernier. Voilà l’histoire d’Ahmed Mbombo Njoya, prince Bamoun, Nji comme on dit au Cameroun. « Prince, oui, précise-t-il, mais pas héritier. Seuls les enfants nés pendant le règne du Sultan peuvent être amenés à lui succéder. » Vingt-cinq princes et princesses sont nés après le 10 août 1992, date marquant le début du règne d’Ibrahim Mbombo Njoya. « Mes parents sont restés mariés trente-cinq ans, mais la tradition Bamoun impose la polygamie. Ils ont fini par divorcer. Nous sommes six frères et soeurs. Plus deux demi-soeurs. Mon frère aîné et ma soeur continuent d’aller là-bas, à Foumban. J’y ai emmené ma famille. Ils connaissaient mon histoire, mais ils ont quand même été déroutés. » Ahmed a extrait de cette terre un tempérament et une philosophie devenus, au fil du temps, les alliés et les moteurs de son existence. Foumban est le point de départ d’un itinéraire escarpé dont il a surmonté tous les dangers, au fil d’une magnifique carrière et d’un chemin de vie accompli. Lui et Jelena ont deux enfants, Marko et Jana. Jana joue pour la Serbie. Encore un moyen d’enrichir l’histoire…