Il est né à Venise, comme Giacomo Casanova, l’aventurier sulfureux, mais la comparaison s’arrête là. Il est né en 2000, l’année où l’Italie a intégré le VI Nations. Un 26 avril, le jour de la fête annuelle en mémoire de l’apparition mariale à Genazzano. Il joue au rugby. Comme Marco Bortolami, les frères Bergamasco, Michele Campagnaro, Alberto De Marchi, Leonardo Ghiraldini, Leonardo Sarto ou Alessandro Zanni, eux aussi originaires de Vénétie. « Un jour, mon père m’a emmené dans un club, éclaire-t-il. Il n’avait jamais joué au rugby, mais des amis à lui l’avaient convaincu. Il voulait que je pratique un sport. N’importe lequel. J’ai bien essayé le football, à six ans, mais au bout de six mois, j’ai su qu’apparemment, ça ne collerait pas. Alors j’ai choisi le rugby. À Mogliano d’abord, puis à Padoue et Trévise. » Dès sa première saison à Montpellier, l’ouvreur transalpin est devenu champion de France. Au mois de septembre, il va disputer sa première coupe du monde. Itinéraire d’un enfant gâté. « C’est une fierté, c’est sûr, c’est même un rêve de gosse, dit cet admirateur de Dan Carter. J’ai hâte de voir l’ambiance à Lyon lorsque l’on va jouer contre la France. Il n’y a rien de mieux que d’évoluer devant les siens. J’espère qu’il y aura beaucoup de Montpelliérains sur le terrain ce jour-là. Je serai content pour eux. Mais il n’y aura pas d’amitié pendant ces quatre-vingts minutes… » Le rugby italien existe depuis le début du XXe siècle, inspiré par le voisin français et notamment par Julien Saby dans les années 1930. Pierre Villepreux, Bertrand Fourcade, Georges Coste, Pierre Berbizier ou Jacques Brunel ont tour à tour tenté de l’évangéliser, mais il tarde à trouver son public dans un pays éperdument ivre de foot. Le Zebre de Parme et le Benetton Trévise sont ainsi les deux seuls clubs vraiment professionnels du pays. « La majorité des enfants jouent au foot, c’est vrai, confirme ce grand fan du Milan AC, c’est un sport vraiment très populaire. Alors que le rugby n’est pas très connu ni reconnu. Les gens disent qu’il s’agit d’un sport compliqué, que les règles sont difficiles à comprendre. D’ailleurs, lorsque j’échange avec eux, ils me demandent si je joue en attaque, si je défends ou si je fais les mêlées. Paradoxalement, je suis plus connu ici, en France, qu’en Italie. »
C’est un paradoxe, oui. L’Italie a donné au rugby de très grands joueurs, les Alessandro Troncon, Martin Castrogiovanni, Andrea Lo Cicero, Diego Dominguez et bien sûr Sergio Parisse, mais n’a jamais réussi à percer le coeur des Italiens. « Sergio, par exemple, souligne Paolo Garbisi, est un monstre, une légende de notre sport. Mais en Italie, il n’est connu que par ceux qui suivent le rugby. En fait, nous sommes tous des inconnus au pays. C’est culturel. Et c’est surtout compliqué de faire venir des gens au stade, de leur faire aimer notre sport que nous devons rendre populaire. Mais lorsque tu ne gagnes pas, c’est difficile de le rendre populaire. »
En vingt-trois ans de Tournoi des VI Nations, l’Italie n’a effectivement décroché que treize malheureuses victoires. Elle n’a jamais remporté plus de deux matches dans la même édition et n’est jamais parvenue à enchaîner d’une année à l’autre. « Jouer le VI Nations nous a pourtant fait beaucoup de bien, assure Paolo Garbisi. Sans argent, on ne peut se développer et le VI Nations nous rapporte de l’argent. Mais je m’attendais quand même à un développement plus efficace. Nous sommes en difficulté presque à chaque fois. C’est vrai que nous avons progressé, mais les autres progressent aussi. Nous devons aller encore plus vite pour les rattraper. » Certains finissent par douter de leur légitimité et aimeraient donner leur chance à d’autres nations, la Géorgie par exemple. « Si on avait des résultats, soupire-t-il, ce genre de discussions n’existerait pas. »
Secrètement, Paolo Garbisi fantasme sur un Tournoi enfin abouti, un premier succès sur l’Angleterre ou l’Irlande, que l’équipe d’Italie n’a plus dominée depuis 2013. Il rêve d’une participation à un quart de finale de coupe du monde. L’Italie est l’une des dix nations à avoir participé à toutes les éditions. La seule à n’avoir jamais franchi le premier tour en dépit d’un match héroïque contre l’Écosse en 2007. « Ça changerait sûrement beaucoup de choses, rigole-t-il, mais accéder aux quarts de finale en octobre signifierait battre soit la France, soit la Nouvelle-Zélande, et ça dit toute l’ampleur de la tâche. » Mission périlleuse, oui, même si l’Italie a battu en novembre dernier l’Australie, six ans après avoir dominé l’Afrique du Sud à Florence. Elle s’est même offert un frisson au Millennium de Cardiff il y a un an en dominant le Pays de Galles (22-21) après trente-six défaites consécutives dans le Tournoi, grâce à la transformation de l’essai d’Edoardo Padovani à l’ultime seconde par… Paolo Garbisi. « Plein d’émotions m’ont alors traversé l’esprit, s’éclaire-t-il, une joie incroyable. Ce coup de pied n’était pas le plus difficile, loin de là, mais il représentait tellement de choses pour notre pays ! » Un pays, on le sait, capable de s’enfiévrer dès la première étincelle. La nouvelle génération l’a bien compris et redouble d’efforts pour tenter de séduire. Comme Paolo Garbisi, les Gianmarco Lucchesi, Lorenzo Cannone, Manuel Zuliani, Manfredi Albanese, Stephen Varney, Tommaso Menoncello, Simone Gesi, Luca Rizzoli, Riccardo Favretto ou Alessandro Garbisi, le petit frère, sont nés au XXIe siècle. Alessandro Fusco, Giacomo Da Re et bien sûr le Toulousain Ange Capuozzo ont à peine vingt-quatre ans. « J’espère que tous ensemble, nous serons capables d’élever le curseur et d’accéder, un jour, à ce fameux quart de finale », ose Paolo Garbisi. Le plus vite possible, ou alors en 2035, au crépuscule de leur carrière, à Rome, Milan ou Trévise, puisque la Fédération est candidate à l’organisation de la Coupe du Monde… D’ici là, l’ouvreur montpelliérain aura de multiples occasions de se mesurer à Owen Farrell, l’ouvreur qui l’inspire le plus, dans sa capacité à bien gérer chacun des temps d’un match, avec son tempérament bouillant. Peut-être d’autres occasions de faire basculer un match, comme à Cardiff. Ses parents seront sans doute au stade, ou alors devant leur téléviseur. « Toute ma famille était très loin de ce monde, sourit-il, mais elle s’en est un peu rapprochée. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils comprennent tout, mais ils s’intéressent, c’est déjà pas mal. Sauf mes grand-mères qui ont trop peur que l’on se fasse mal. »