« Encore une interview des soeurs Ménager. Des jumelles Ménager. Ce « vous » ne finit-il pas par vous agacer un peu ?
Romane : On nous pose assez souvent cette question. Non seulement ça ne nous dérange pas, mais je pense que l’on aime cette manière de nous livrer ensemble, d’afficher notre complicité comme nos différences. Dans le rugby en tout cas. C’est notre truc à toutes les deux. Dans la vie privée en revanche, notre vie de femme, on préfère être dissociées.
Marine : Nous nous sommes construites ensemble, et c’est assez extraordinaire de vivre cette aventure ensemble. C’est pour cela que nous insistons pour que nos deux images soient associées au long de notre carrière.
Mais n’avez-vous jamais souffert d’être considérées comme des jumelles et pas comme des personnes à part entière ? On dit d’ailleurs, parfois, que les jumelles sont une seule
personne divisée en deux…
Marine : Pas forcément dans le sens où vous l’entendez. Il nous arrive de souffrir, non pas parce que l’attention est partagée, mais parce que l’on culpabilise si l’on n’est pas là l’une pour l’autre. Quand Romane a été sélectionnée en équipe de France, le moment, par exemple, n’a pas été facile à gérer pour moi. J’étais à la fois fière et déçue, animée d’un gros sentiment de culpabilité parce que je la laissais partir seule et parce que, surtout, ça signifiait que je n’étais pas suffisamment préparée de mon côté pour l’accompagner.
Romane : Tous nos proches disent que nous sommes très différentes, qu’il n’y a donc pas qu’une seule personne divisée en deux. En même temps, nous sommes très proches, très fusionnelles, mais ça n’a aucune influence sur un terrain. En club ou en sélection, je joue avec une coéquipière, pas avec ma soeur jumelle.
Le fait de ne pas évoluer sur le même poste constitue-t-il un avantage ?
Marine : C’est nous qui avons choisi de ne pas jouer sur le même poste. Peut-être pour justement éviter les comparaisons.
Romane : Ou alors pour ne pas avoir à nous retrouver en concurrence pour une place. Ce serait un crève-coeur, pour l’une comme pour l’autre, d’être écartée au bénéfice de sa soeur.
Votre connivence, même à des postes différents, est-elle un avantage sur le terrain ?
Marine : On ne s’en rend pas vraiment compte, mais oui. On se comprend plus vite. Et si la charge d’émotion est trop importante chez l’autre, on le sent immédiatement et un regard suffit à apaiser. D’ailleurs, parfois, on se fuit un peu pour ne pas, justement, laisser l’émotion interférer.
Romane : C’est la même chose avec nos parents lorsqu’ils sont dans les tribunes. On les regarde au début, puis plus du tout au fil du match pour ne pas laisser notre concentration s’effriter.
Pourriez-vous jouer l’une contre l’autre ?
Romane : Même pas à l’entraînement. Nous sommes incapables de nous plaquer. Ou alors du bout des bras…
Est-ce une chance d’avoir une soeur jumelle ?
Romane : Oui, c’est sûr. Surtout dans ce milieu. Au rugby, on peut compter les unes sur les autres, mais avoir de telles affinités dans le sport de haut niveau est un avantage considérable.
C’est pareil dans la vie. On a toujours ce confort de savoir que lorsque ça va moins bien, notre soeur est là pour nous rassurer,
nous tirer vers le haut.
Marine : On se connaît tellement! Alors, même lorsque les choses sont dures à dire, on les entend plus facilement parce que l’on sait que les mots, même durs, seront teintés de bienveillance.
Quelle est la nature de votre relation ? Fusionnelle ? Dominante-dominée ? Un couple avant l’heure ?
Romane : C’est un mélange de tout ça. C’est vrai que nous avons nos habitudes de petit couple. En stage par exemple. On veut toujours être ensemble. Sur les journées off, je me lève assez tôt pour prendre mon petit déjeuner. Marine, elle, a tendance à dormir plus longtemps et je lui ramène toujours de petites choses à grignoter dans son lit…
Marine : Plus jeune, c’est vrai, notre relation était plutôt dominante-dominée alors qu’il n’y a pas, je crois, un caractère plus fort que l’autre, même s’ils sont tous les deux bien trempés.
Avez-vous les mêmes goûts ?
Romane : Pour les vêtements, la nourriture, les choses du quotidien, oui, nos goûts sont assez semblables.
Marine : Sur les attentes du quotidien, les choses simples, oui, nous nous retrouvons dans beaucoup de choses, même si nous n’avons pas toujours les mêmes envies. Nos relations de couples sont par contre très différentes.
Est-ce que la seule présence de l’une sécurise l’autre ?
Romane : Oui. C’est un confort d’être ensemble.
Marine : Pour me sentir bien, j’ai besoin d’avoir Romane à mes côtés ou pas très loin en tout cas.
Avez-vous, déjà, éprouvé de la jalousie l’une envers l’autre ?
Marine : Je ne pense pas. Peut-être de la frustration, mais pas une frustration qui s’apparenterait à de la colère, mais plutôt à de la déception, comme en 2017 par exemple, quand Romane a été retenue pour la Coupe du Monde et pas moi. C’était vraiment un sentiment difficile à transcrire, peut-être, oui, s’agissait-il d’une pointe de jalousie même si ce n’est vraiment pas dans ma nature d’être jalouse.
Romane : On ne peut pas être jalouse l’une de l’autre. On ne joue pas au même poste, mais on a la même génétique et si l’une ou l’autre prend une avance, quel que soit le domaine, l’autre sait les efforts qu’elle doit multiplier pour combler le retard.
Vous êtes-vous déjà fait passer l’une pour l’autre ?
Romane : Non. Nous sommes toutes les deux réservées. Assez sages. Carrées. Pas les plus grandes farceuses du monde. Ce qui ne nous empêche pas d’être taquines, mais nous restons dans le cadre.
Marine : Et puis, de l’école primaire jusqu’à l’entrée au lycée, nous avons toujours tenu à être dans des classes séparées.
Aimeriez-vous avoir des enfants jumeaux ?
Marine : Non.
Romane : Deux enfants en même temps, ça fait beaucoup pour des parents. Attention, c’est évidemment merveilleux d’être deux, de partager tant de choses, de nourrir cette connivence, mais ça peut également se révéler contraignant.