Le bonheur est sur la piste

Solene Bouvet
SEULE FILLE DE L’ÉCOLE DE RASETEURS DE MAUGUIO, LA JEUNE ÉTUDIANTE SE PASSIONNE POUR UN MONDE QU’ELLE BOUSCULE DE TOUTE SA GAITÉ, SA PASSION, SES HABILETÉS.

Il y a Yanis, Hugo, Baptiste, Robin, Maxim, Mael ou Julian. Entre quinze et dix-sept ans. Blancs-becs déjà habiles. Il y a Solène aussi. Vingt ans. Novice. Le soleil s’efface maintenant derrière les arbres de Judée. Solène enchaîne les courses autour de la piste mais ne vient jamais à la rencontre du taureau. Les bêtes, ce soir-là, sont trop grosses, tourmentées, pas du tout adaptées pour une fille. Comme les autres fois, elle rêve pourtant de « poser la main sur la tête du cocardier ». « Rien ne me procure autant d’adrénaline que ces moments-là », assure-t-elle. Elle rêve, oui, que son souffle se mêle à celui de l’animal lors de ces valses intenses. Elle rêve d’un raset. Une rencontre. Solène est la seule fille à l’école de raseteurs de Mauguio. Elles ne sont que cinq parmi les 428 élèves recensés à la Fédération française de course camarguaise. Bahia à Saint-Chaptes ; Lucie à Bouillargues ; Maëlys et Jade à Baillargues. Et donc Solène à Mauguio. Elle est venue tard à la bouvine. Elle entame seulement sa deuxième saison. Mais elle a des prédispositions. « Elle a surtout énormément progressé, assure Laurent Itier, le président, et beaucoup de courage. Son handicap, c’est au saut de la barrière, sur le blanc-rouge. Elle a pris quelques gamelles et elle a de l’appréhension. Mais elle est en train de reprendre confiance. » Elle tourne, tourne encore, observe, dévisage la bête, scrute ses réactions. « La course, dit-elle, c’est une étude de comportement. Il faut savoir observer pour s’adapter. C’est la même chose en équitation. Je suis passionnée d’équitation. J’ai deux chevaux chez moi. » Mais c’est bien un taureau qu’elle a tatoué sur son bras droit. Depuis que ses parents l’ont emmenée en Camargue, elle est tombée en amour, de l’animal, de ce monde qui l’entoure, de la considération, la vénération dont il est l’objet. Elle a bien tâté du basket ou du rugby mixte, mais c’est sur la cendrée qu’elle se sent vraiment vivante. « J’avais seize ans la première fois que je suis entrée dans une arène, raconte-t-elle. Mes parents sont vignerons, ils étaient partis en vacances, ma mère ne l’aurait pas supporté et me l’a d’ailleurs fait savoir lorsqu’elle l’a appris. J’ai déjà pris quelques coups de cornes dans les taureauxpiscine, mais le simple fait de me mettre devant une bête qui fait dix fois mon poids me procure des sensations extraordinaires. » Solène a déjà raseté des vaches emboulées, jamais à cornes nues. En avril dernier à Lunel-Viel, elle a eu le privilège d’avoir une vache pour elle toute seule. « C’était un jour marquant, concède-t-elle. J’ai commencé à toucher des têtes, à courir, je me suis pris une gamelle, j’ai pris la vachette face à moi. Je suis mal partie, j’ai mal regardé, mon premier réflexe a été de la prendre par la corne, de la tourner, et de courir. » Ce jour-là, personne ne s’attendait à voir une fille se mesurer à la bête. Le monde de la course camarguaise reste un univers de machos. S’il y a de plus en plus de femmes à cheval, peu d’entre elles se risquent sur la piste. En 2020, Marine Singla avait bien tenté de bouger les lignes en lançant « les raseteuses de l’Arnel », une école 100 % féminine, à Villeneuve-lès-Maguelone. Dans son film « Prends garde à toi », Emma Benestan raconte pour sa part la vie de Marie Segrétier, biterroise comme Solène, venue aux Saintes-Marie-de-la-Mer affronter des bêtes à cornes nues. « En fait, explique Solène, la présence de femmes n’est pas encore entrée dans les moeurs. Beaucoup pensent que ce sport leur est interdit. Lorsque j’ai contacté Laurent pour venir au club, la première chose qu’il m’a demandée était : c’est pour un garçon de quel âge ? Mais je me rends compte que lui comme tous les éducateurs de l’école sont ravis de m’avoir avec eux, ils sont tous prévenants et bienveillants, j’en souffre d’ailleurs un peu parce que j’ai l’impression de voler aux garçons une partie de l’attention. Je ne me sens pas vraiment légitime. Je ne suis pas au niveau des garçons que je côtoie, certains passent en Ligue et on parle plus de moi que d’eux. Ça me met mal à l’aise parce que je ne mérite pas cette exposition. » « Ce complexe d’infériorité, répond Laurent Itier, elle se l’impose plus qu’il n’existe réellement. Elle a des compétences athlétiques équivalentes à celles des hommes. C’est vrai qu’elle a commencé tard. Qu’il lui manque certains fondamentaux. Mais elle a toute sa place chez nous. » Sofiane Rassir, son entraîneur, partage le point de vue. « Lorsque je suis arrivée, se souvient Solène, j’étais un peu lourde, je manquais d’explosivité. Sofiane m’a dit que deux entraînements par semaine ne suffiraient pas. Il m’a coachée tout l’hiver. J’ai perdu six kilos en salle et je me sens nettement mieux aujourd’hui. » Solène nourrit un autre rêve, celui d’être la première fille de l’histoire de la course camarguaise à évoluer en Ligue. « Ce serait une véritable fierté, sourit-elle. Mais je me dis que je suis vraiment loin du niveau. J’ai commencé tard, je ne peux m’y consacrer pleinement parce que je suis en licence, en alternance, et qu’il y a des choses qui passent avant. Mais si c’était ma priorité, vraiment, rien ne m’en empêcherait. Pour l’instant, c’est un loisir. Un loisir engagé. J’ai une offre d’emploi à la sortie de ma licence, comme commerciale en plants de vigne, et peut-être, alors, qu’avec un emploi du temps mieux maîtrisé… » Peut-être aussi que d’autres filles suivront bientôt son exemple. Peut-être qu’un jour des courses seront montées exclusivement pour les filles. Peut-être que ce jour-là Solène troquera son bas noir pour le pantalon blanc, celui réservé aux raseteurs.

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