En contre-plongée

Margaux Fabre
Rares sont les athlètes qui évoquent leur lassitude, leurs doutes, parlent du vide qui les empare parfois. L’espace de quelques instants, Margaux Fabre a perdu le goût pour la natation. Elle l’a retrouvé. À 31 ans, elle est radieuse.

Il y a de la couleur sur son visage, une tonalité dans la voix et des mots légers, des mots qu’elle répète souvent, des mots comme plaisir, partage. Margaux Fabre semble à nouveau sereine, par instants rayonnante, comme ramenée à une vie dont elle ne discernait plus vraiment l’éclat. L’étrangeté, c’est qu’elle doit ce bonheur à un malheur. Une chute à vélo. Soudaine. Violente. « Je n’allais pas vite, dit-elle, j’étais dans une pente sur une piste cyclable, j’ai tapé le menton contre le sol, ma roue est partie sur le côté. Même aujourd’hui, quand je m’endors, j’ai cette image en tête. Ça a été traumatisant. » Cette chute l’a sans doute sauvée. « J’ai connu deux années très compliquées, dévoile la championne d’Europe 2018 des relais 4×100 m nage libre dames et mixte avec beaucoup de pudeur, je sentais que je n’avais plus l’envie de quoi que ce soit. C’est en regardant un documentaire sur Amazon Prime Video, ‟STRoNG”, que j’ai compris que ce que j’étais en train de traverser s’apparentait à une dépression. Je ne savais plus qui j’étais, et quand j’ai vu Camille Lacourt exprimer la même sensation dans le film, ça a fait écho à mon ressenti. Je me pose moi aussi cette question. Tout le temps. Je suis Margaux la nageuse, mais en dehors de ça, qui suis-je vraiment ? » En début d’année, un peu lasse, un peu sombre, elle a songé à tout arrêter. Elle partait à l’entraînement à reculons. Elle était tout le temps fatiguée. Sans trop savoir pourquoi. « Ma psy me disait de prendre des antidépresseurs naturels, soupire-t-elle, mais je n’avais pas envie de m’avouer que j’étais en dépression. Il n’y avait pas de raison. Et puis, vis-à-vis du club, des sponsors, de mes parents, ce n’était pas bien… » Avant d’emprunter cette voie sans issue, elle avait cherché à casser sa routine en changeant d’entraîneur et de distance. Elle avait choisi un ami, Valentin Turgal, qui s’occupait à la fois de la préparation physique et de l’entraînement dans l’eau. « On a voulu se lancer dans le 50mètres, explique-t-elle, alors que je suis plutôt une nageuse de 100, 200 voire 400 mètres. À Rennes, aux Championnats de France, je suis complètement passée au travers. » Alors elle est revenue avec Raphaël Raymond et s’est remise à faire du 100 mètres pour viser une qualification sur le 4×100 pour les Jeux de Paris 2024. Mais la sensation de vivre dans la brume ne s’est jamais vraiment dissipée. Jusqu’à la chute. « En fait, rappelle-t-elle, je nage à haut niveau depuis l’âge de 14-15 ans, sans pouvoir faire de break puisque je m’investis aussi à fond dans le sauvetage sportif. Depuis 2012, je n’ai jamais fait de pause, ou alors un ou deux jours, par-ci, par-là, sans toujours l’aval du coach d’ailleurs, ce qui pouvait biaiser la préparation. » Ces trois semaines de repos forcé, le temps de soigner la fracture du maxillaire supérieur, lui ont donc fait le plus grand bien. Il n’y avait aucune culpabilité derrière cette parenthèse, puisqu’elle était contrainte et cela change à peu près tout. Margaux a pu prendre soin d’elle sans se torturer l’esprit. « Je retrouve des sensations que je n’avais plus éprouvées depuis deux ans, sourit-elle, et c’est très agréable, ça me met en confiance. Surtout, je me suis rendu compte que la natation m’avait manqué. La première fois que j’ai ressauté dans l’eau, je me suis dit : mais en fait, je kiffe ça. Maintenant, quand je me lève à cinq heures, j’ai envie d’aller nager. Ça change et ça fait du bien. » Elle y voit nettement plus clair depuis cet épisode. Elle a relevé la tête, entourée de ses proches, et elle goûte à nouveau au simple plaisir de vivre sa vie avec passion. « J’aime ma vie, oui, dit-elle, avec mes amis, ma famille, mon intimité. J’aime être Margaux, simplement Margaux, pas Margaux la nageuse. Tout le monde me dit : tu as complètement changé. Je me sens mieux, c’est vrai, je m’ouvre aux autres, alors que j’avais tendance à me renfermer parce que, pour moi, je ne méritais pas l’attention que l’on me portait. » Elle se sent surtout capable d’en parler, et c’est un pas énorme. Capable de dire : « avant, je nageais par obligation », ou encore : « ce qui me bloquait, c’était la peur de ne pas réussir. Alors que j’ai fini par comprendre que si je venais à perdre, ça ne changerait ni le monde, ni mon monde ». Aujourd’hui, elle nage pour le plaisir, simplement pour le plaisir, « parce que sans plaisir, on ne peut pas s’investir à fond, aller chercher et repousser ses limites. Avant, je pensais qu’il fallait avoir mal pour progresser. Mais pas du tout en fait… » Lorsqu’elle a replongé, elle a aimé l’attention portée par Raphaël Raymond, comme elle avait aussi aimé les mots de son kiné, ancien sportif de swimrun puis triathlète. Cette bienveillance est une alliée sur le chemin de la délivrance, sans doute son plus sûr atout. Peut-elle revenir à son niveau d’avant ? Elle en est convaincue. Pas sur 200 mètres, une distance qui fait mal et qui l’effraie encore un peu. Mais sur 100 mètres, oui, elle se sent prête. « Je pense que je peux retrouver toutes mes sensations, espère-t-elle, et signer les mêmes temps qu’avant. Est-ce que ce sera suffisant ? Je n’en sais rien. Il y a une forte concurrence. Mais j’ai envie d’y croire, en me faisant plaisir, pour n’avoir aucun regret. C’est plus une bataille contre moi-même que contre un chrono ou les adversaires. » Après Paris 2024, elle arrêtera la natation, c’est sûr. D’ailleurs, si ces Jeux n’avaient pas eu lieu en France, peut-être aurait-elle tiré sa révérence en début de saison. D’autant qu’elle a perdu son contrat avec Canet 66, son club perpignanais. Mais elle continuera à s’investir dans toutes ses autres passions, à commencer par le sauvetage. La championne du monde 2017 du relais 4×50 m obstacles adore cet univers « plus ouvert », les sensations qu’il procure. Lors des Championnats d’Europe de septembre dernier en Belgique, l’équipe de France a remporté l’or, mais elle n’a pas aimé ses prestations individuelles : « J’étais censée gagner la surf-race et j’ai terminé quatrième. Je devais faire un podium à l’iron, et j’ai fini dixième ». Lors des Championnats du monde qui se dérouleront juste après les Jeux en Australie, elle sera animée d’un sentiment de revanche que l’on devine aisément. « Le sauvetage, décrit-elle, c’est beaucoup plus ludique, avec des mannequins, des bouées-tubes, des palmes, du surf, des relais, des kayaks, la plage. Les deux disciplines sont complémentaires et m’ont beaucoup apporté. Le sauvetage est moins médiatisé, personne ne se tire dans les pattes, et les gens savent rester à leur place. Attention, il y a quand même du gros niveau, avec des filles comme Lani Pallister par exemple. » Avant Gold Coast, elle participera au mois de mai aux championnats du monde militaire à Montpellier co-organisés par l’armée, la Fédération et Aqualove, son club montpelliérain. Dans la lignée du partenariat signé entre la FFSS et les Armées, Margaux Fabre a, en effet, intégré le bataillon de Joinville et fait désormais partie des sportifs de Haut Niveau de la Défense. Un engagement qui participe à son équilibre et lui permet surtout « de changer d’air, rencontrer d’autres personnes, enrichir ma vie sociale ». Elle a adoré les quelques jours partagés à Satory et au Centre National des Sports de la Défense avant le défilé du 14 Juillet sur les Champs-Élysées. Toujours dans ce souci d’ouverture vers d’autres mondes, elle s’est également engagée comme pompier volontaire à la caserne Jean Guizonnier de Montpellier, cooptée par la rugbywoman Caroline Boujard. « Je suis d’autant plus assidue, dit-elle, que les rencontres sont toutes enrichissantes. » S’occuper des autres, s’accorder le droit de tomber puis de se relever, partager avec ses proches, viser un objectif élevé, Margaux Fabre a coché toutes les cases pour développer sa résilience.

Journaliste Philippe Pailhories // Photographe Rémi Martinez

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