“ Face à face ”

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« Allez la Paillade ». Lors de l’Open d’Australie, en janvier, l’espoir montpelliérain du tennis Arthur Cazaux (21 ans) a fait parler de lui en dédiant sa victoire en 16e au MHSC. À son retour, Laurent Nicollin l’a invité à donner le coup d’envoi du match contre Lille à la Mosson. Malgré les années qui les séparent, ils partagent la flamme de cet esprit pailladin, entre simplicité, sincérité et force de caractère. Une interview croisée semblait donc une évidence !

Texte par Gwenaël Cadoret// Photographies par Guilhem Canal

C’est votre première interview commune… Vous le vivez comment ?

Arthur Cazaux : Je suis très heureux d’être là, mais un peu intimidé. Comme je suis fan du club depuis que je suis petit, le nom Nicollin, cela veut dire quelque chose.

Laurent Nicollin : Être à côté d’une future star du tennis, c’est toujours intimidant et valorisant !(sourires) Au fait, la santé, ça va mieux ?

AC : Ça va mieux, oui. Depuis le petit malaise à Miami, je suis rentré en France, j’ai fait de nombreux tests. Tout va bien, tout est stable. Je vais pouvoir reprendre bientôt.

Arthur, lors de ta victoire à l’Open d’Australie face à Rune, 8e mondial, tu as signé « Allez La Paillade » sur la caméra. D’où t’est venue l’idée ?

AC : Cela a été très spontané. C’était une première pour moi. Signer une caméra, c’est réservé aux grands matchs, sur les grands courts. Je voulais me démarquer un peu. Les premières choses qui me sont venues, ce sont ma ville et mon club. Montpellier avait perdu deux jours avant. En tant que fervent supporter, envoyer un petit message de soutien, cela me paraissait normal. 

LN : Quand tu vois le public, là-bas, qui chante « La Paillade », tu te demandes ce que c’est, ce truc ! On t’envoie des SMS qui te parlent de ce qui se passe en Australie. C’est une petite fierté. Ça montre qu’il y a des gens qui aiment le club. Cela a dû surprendre certains médias nationaux qu’un joueur de tennis, qu’un petit jeune qui gagne, puisse supporter une autre équipe que Marseille ou Paris. Qu’il puisse dire tout son amour pour Montpellier et La Paillade. C’est notre mentalité sudiste un peu réfractaire. Il a fait un pied de nez : « je gagne et en plus, mon club, c’est La Paillade ! »

AC : Je pense tout le temps au club, même si je me fais chambrer par mon équipe ! Je ne rate pas un match. Même si je suis en tournoi tout le temps, même si je suis un sportif de haut niveau, je suis un vrai supporter dans l’âme. J’ai toujours un T-shirt du MHSC dans la valise. J’essaye d’adapter mes horaires. Je déteste terminer l’entraînement en sachant que mon équipe est en train de jouer. Cela me stresse !

Dans les gradins de Melbourne, on entendait des chants de supporters. C’était des ultras ?

AC : Même pas ! Ils ne sont pas du tout de Montpellier. Ce sont des Français fans de tennis, qui se sont regroupés pendant le tournoi. Je ne les connaissais pas, ils sont venus voir mes matchs. Au fur et à mesure, on était en contact indirect. Ils m’ont dit : « tu verras, on va te faire plaisir sur le prochain match ». Ils ont regardé les vidéos des ultras du club, ils ont appris les chants pailladins, et ils ont mis une sacrée ambiance. Je me suis tellement nourri de leur énergie…

Laurent, vous avez invité Arthur à donner un coup d’envoi fictif à la Mosson…

LN : C’est un juste retour des choses. Un sportif de haut niveau qui performe et qui montre tout l’amour qu’il a pour le club à 7000, 8000, 15000 km d’ici… J’ai trouvé que c’était une belle attention. C’est toujours valorisant quand tu as des personnes connues qui, même si elles sont parties ailleurs, gardent un attachement au club et à la ville. C’était le minimum de l’inviter.

AC : C’était incroyable ! Fouler la pelouse du stade de la Mosson, le stade mythique de notre ville, il y a eu beaucoup d’émotions… C’était un rêve, vu qu’à chaque fois que je suis à Montpellier, je vais voir les matchs. C’était donc une expérience d’autant plus forte. Aller dans les vestiaires, voir les joueurs au bord du terrain, le staff, c’était cool. Le soir, quand je suis rentré chez moi, je me suis dit « Waouh, j’en ai vécu des choses ! »

LN : Il était stressé ! Le coup d’envoi, le truc, « comment vais-je faire la passe à Téji, pied droit ou pied gauche ? ». (rires) Plus sérieusement, je l’ai félicité de son parcours. C’était un moment simple, une belle rencontre.

AC : Quand j’ai fait la passe à Téji, j’ai ressenti autant de stress qu’avant un match, à l’Open d’Australie ou ailleurs, alors qu’il n’y avait aucun enjeu. (sourires) Je ne sais pas pourquoi… Le fait que ce soit le club, à la maison… En plus, je suis un grand fan de Téji. Je ne vais pas parler du joueur, il est tellement fort, talentueux. J’adore surtout la personne. Il a cette âme montpelliéraine. Ce côté famille, attaché à sa ville. Il ferait tout pour le club.

D’où te vient cet amour pour le MHSC ?

AC : En fait, ma passion pour le club n’a fait qu’augmenter au fil du temps. Dans ma famille, ce ne sont pas des fans de foot. Ils n’aimaient pas non plus le tennis. Mais j’ai toujours eu ce côté un peu rebelle. Mes parents habitaient à l’entrée de Juvignac, tout près du stade. J’entendais l’ambiance, cela m’intriguait. Chaque année, j’essayais de gratter un match, puis je suis allé au stade avec les potes. C’est marrant, chaque fois, on me demande si je me souviens du titre en 2012. Oui, je m’en souviens très bien, comme si c’était hier. Mais je n’avais que 8 ans. Je n’ai pas eu la chance de le fêter dans la rue !

LN : Cela fait plaisir d’entendre que des gens se sont nourris du club quand ils étaient plus jeunes. Le but d’un club professionnel, c’est d’apporter du bonheur aux personnes qui supportent, qui suivent, qui aiment les joueurs et l’équipe. Cela met du baume au cœur. On est motivés à continuer ce que l’on fait, car on sait pourquoi on se lève le matin. Quand il y a des moments un peu plus compliqués, cela te booste.

Arthur, qu’est-ce qui te plaît dans le club ?

AC : Le côté famille, proche des joueurs. Des valeurs que j’ai dans le sang, que je partage avec mes proches. Je m’identifie un peu au club. On est fiers d’être Montpelliérains, fiers de nos valeurs, on ne garde pas notre langue dans notre poche, on est nous-mêmes. 

LN : On n’a pas l’argent de certains, donc il faut compenser par d’autres valeurs. Cette année, peut-être qu’on les a un peu moins, mais je pense qu’on s’en sortira quand même. Ces valeurs, c’est ce qui permet, dans un moment où tu te sens en difficulté, de se recentrer, de se serrer les coudes. D’avancer ensemble. Tout seul, à un moment, tu n’y arrives pas. Arthur, il est seul quand il joue, mais autour de lui, il y a forcément une équipe, des parents, des amis…

À Montpellier, il y a ce côté franc-parler !

LN : On est un club issu d’un quartier populaire. On sait d’où l’on vient, on connaît nos origines. Je ne vais pas vous rappeler que mon métier principal, c’est de m’occuper les poubelles ! On ne peut pas dire que ce soit très rock’n’roll pour certains… Il faut mettre la main dans le cambouis, sinon tu ne ramasses pas la merde ! La vie est un combat. Il faut se lever le matin en essayant de faire quelque chose de bien avec ce que l’on a. C’est notre identité, on ne la reniera pas. S’il faut dire merde, on sait dire merde. Alors, ce n’est pas très poli, mais on ne se fait pas marcher sur les pieds. Je pense qu’Arthur ne se laissera pas marcher sur les pieds. Un jour, quand il gagnera un titre, il se dira sans doute que c’est peut-être grâce à ce supplément d’âme de Montpellier.

Le club traverse une saison complexe. Arthur, comment tu le vis ?

AC : Cela ne fait pas plaisir de voir son club en bas du classement, surtout quand on voit le potentiel que l’on a. Mais j’ai toujours été là, je continuerai d’être là, même dans les passes difficiles. Je vis les matchs à fond. Quand on gagne, je suis comme un fou, quand on fait un mauvais match, j’ai envie d’insulter tout le monde. Après, j’ai ce caractère toujours optimiste. Je sais qu’on sera en Ligue 1 l’année prochaine. Je sais que les joueurs vont se bouger le cul pour y parvenir. On a de forts caractères dans l’équipe, des joueurs talentueux.

LN : Je touche du bois. On ne va pas lâcher les armes maintenant. Jusqu’à la dernière journée, la dernière minute, s’il faut récupérer quelque chose, on se battra jusqu’au bout.

Tu aurais aimé devenir footballeur ?

AC : Oui ! Quand on est petit, c’est le sport qui fait rêver. Jeune, j’ai joué à Montferrier, mais j’avais préféré arrêter. Quand j’ai foulé la pelouse de la Mosson, j’ai vu ce monde autour, ces tribunes immenses… Dans le tennis on n’a pas de stades aussi grands. Après, je ne sais pas si c’est le tennis qui m’a choisi. J’ai eu une raquette dans les mains très tôt, et cela a été ma destinée. C’est ma passion, je vis de cela. J’ai une vie de dingue, j’espère que ça va continuer.

LN : Passionné du club comme il est, Arthur aurait été un leader mental dans notre groupe ! Mais on ne va pas avoir de regrets : il s’épanouit dans sa discipline ! Le tout, c’est qu’il soit heureux.

AC : De toute façon, je n’ai pas de pied droit, je n’aurais rien fait ! (rires)

Laurent, vous connaissez un peu le tennis ?

LN : Cela va vous surprendre, mais mon père jouait beaucoup au tennis, plus jeune. Oui, « Nicollin, il jouait au tennis » ! (rires) Il allait le samedi ou le dimanche matin à Pérols, avec Bernard Gasset. Il nous emmenait avec mon frère, on jouait ensemble ou contre le mur. Après, j’ai pris des cours à la Motte Rouge. En fait, c’est un sport que j’ai toujours apprécié. Vous n’allez pas me croire, mais plus jeune, j’étais un peu plus fit ! Jusqu’à mes 20 ans, j’ai joué à un certain niveau au foot. Comme j’avais une bonne condition physique, au tennis, je renvoyais la balle. Je suis nul en service, mais c’est vrai que je renvoyais, je renvoyais, je renvoyais… Le seul truc que je n’aimais pas, c’est que c’était long, surtout contre mon frère ! Au bout de trois heures, je faisais semblant de perdre parce que j’en avais marre ! Mes enfants Baptiste et Agathe, prenaient des cours le samedi matin à la Jalade. Le tennis, c’est le sport, tu pars en vacances au fin fond de n’importe où, tu trouves une raquette, tu prends des balles, il y a toujours un terrain. C’est quand même sympathique.

AC : Je savais que Loulou était un grand passionné de sport. Que dans son musée, il y a des raquettes, des maillots de tennis. Mais je ne savais pas que dans la famille, cela tapait un peu la balle ! Cela me fait sourire : le peu de footballeurs qui sont venus au tennis, c’est vrai qu’ils jouent tous de la même manière. Ils courent partout, ils ont une condition physique de dingue, et ils rattrapent tout. Avec un tel jeu, en mode défenseur, les matchs devaient être longs effectivement. (rires)

Vous suivez un peu le circuit professionnel ?

LN : Quand on est jeune, on regarde toujours le tennis, surtout Roland-Garros. Je suis beaucoup plus vieux : pour moi, les joueurs, c’étaient Connors, Wilander, McEnroe, Edberg. J’étais fan de Lendl, même s’il n’était pas marrant. Maintenant, j’ai plus de mal. Federer, Nadal et Djokovic ont tellement squeezé le truc pendant quinze ans que l’on ne sait plus trop qui sont les autres. Par contre, je suis un peu franchouillard. Je vais m’intéresser s’il y a un Français qui avance dans un tournoi. Tu prends plus de plaisir parce que tu connais les noms ! Et quand tu as un gamin d’ici qui gagne, tu le suis avec plus d’amour.

La France a découvert le jeu d’Arthur en Australie…

LN : Je ne vais pas mentir. Je savais qu’il venait voir des matchs à la Mosson, ma fille le connaissait. Mais il n’avait pas encore réalisé d’exploit majeur qui faisait que l’on parlait de ses matchs. Depuis je le regarde un peu jouer, sur le téléphone ! Des Français qui jouent bien, qui ne sont pas loin d’exploser, il y en a beaucoup. Pour Arthur, l’Australie peut servir de déclic. C’est ce qui peut le faire grandir, lui donner confiance, le faire basculer. Il y a un bon Dieu qui regarde d’un œil bienveillant les personnes. Arthur a eu cette chance. J’espère que cela va lui mettre dans la tête qu’il en est capable.

Après des années de galères physiques, tu sens que tu as changé de statut ?

AC : Oui, forcément. Avec mon nouveau classement (74e), je suis vraiment dans le circuit principal. Je vais faire tous les gros tournois. Après, dans ma tête, cela ne change pas. Je savais que j’étais capable d’atteindre ce niveau-là. Je l’ai juste prouvé au grand public, y compris en termes de résultats. C’est vrai que les gens le savent peu, mais j’ai été énormément blessé quand j’étais jeune. Malgré les fractures, les béquilles, j’ai continué à y croire. C’est pour cela que je me suis tatoué « Résilience ». J’ai été arrêté de longues périodes, mais cela ne m’a pas empêché de poursuivre mes objectifs. 

LN : Il ne faut pas que les gens lui mettent une pression inutile. Il a franchi un palier, il est dans le top 100. Ce n’est que du bonheur. C’est très français de se dire, dès qu’un mec gagne un peu, « il faut qu’il gagne tout ». Il est jeune, il a dix-quinze ans devant lui. Déjà, qu’il se maintienne dans le Top 100. Puis l’appétit vient en mangeant. Peut-être que cela se passera moins bien lors de certains tournois. Mais si à côté il fait des quarts, des demi-finales, s’il avance petit à petit, s’il fait un super Roland-Garros… L’histoire se mettra en place. C’est important de voir des gamins qui sont sains. Il sait où il veut aller. Il sait ce qu’il a vécu avec toutes ces blessures. Les choses sont entre ses jambes et entre ses mains.

AC : Je suis 74e mondial. Il y a 73 mecs qui sont devant moi. Il ne faut pas s’enflammer. J’ai toujours été quelqu’un de patient. Je ne me suis jamais fixé de barrière. Je me dis que je peux réaliser des performances sur les Grands Chelems. Cela me donne encore plus envie d’aller loin. Je me donne à fond. Je progresse à mon rythme. Mon heure viendra, je verrai bien où j’arriverai.

Quels conseils donner à un jeune sportif dont la popularité explose ?

LN : Ce serait prétentieux de lui donner des conseils ! Je vois comment il est, comment il parle et réagit aux choses. Il est prêt dans sa tête ! Je lui dirais juste de rester lui-même, entouré des personnes qu’il aime. Les choses se feront si elles doivent se faire. On voit qu’il a une tête bien pleine sur de belles épaules. Il a les cartes en main pour faire quelque chose de grand. Il ne faut surtout pas qu’il ait de regrets. Qu’il vive sa passion à fond, pour atteindre son rêve ultime de gagner des tournois.

Vous aimeriez qu’Arthur vous invite sur un tournoi ?

LN : Tu sais quoi ? Pour la demi-finale à Roland-Garros, il pourra m’inviter ! Pas avant ! Je ne dis pas la finale, parce qu’il ne faut pas qu’il ait tout le bol d’un coup ! On croise les doigts pour que tu arrives en demi-finales, puis en finale deux-trois ans après ! Bon… C’est de l’humour, mais c’est tout le mal que je lui souhaite. Je pense qu’à un moment, il faut qu’il prenne conscience du talent qu’il a, du potentiel qu’il a. Après, il faut qu’il soit focus, matin midi et soir tennis.

Loulou demandait souvent à Richard Gasquet de lui récupérer des maillots pour le musée. Arthur, tu aimerais le visiter ?

AC : Bien sûr, j’aimerais, un jour. Je ne savais pas pour Richard ! S’il y a besoin de maillots ou de raquettes en plus pour le musée, ce sera avec plaisir.

LN : J’ai bien entendu ! Pour nous, tout ce qui peut être fait pour le musée nous intéresse… Déjà, quand il gagnera un gros titre, on espère récupérer son T-shirt et la raquette. Allez, on t’organisera la visite quand tu nous ramèneras deux ou trois tuniques.

AC : Allez, c’est donnant donnant, pas de souci !

Pour finir, que vous souhaitez-vous ?

AC : À très court terme, le maintien du MHSC. C’est le principal. Après, je suis ambitieux, j’ai envie de revoir mon club en Coupe d’Europe ! Ce serait un bel objectif !

LN : Qu’il prenne avant tout du plaisir ! Comme à tout tennisman français, je lui souhaite aussi de succéder à l’un des plus grands joueurs français, Yannick Noah, et de gagner Roland-Garros. Mais s’il remporte n’importe quel Grand Chelem, je serai heureux, ravi et fier pour lui. On croise les doigts.

AC : Et je vous inviterai en demi-finales !

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