Gardien de l’après

Rémi Desbonnet
Il a bousculé les codes et enflammé les parquets par ses manières, son goût de l’épopée. Sans doute a-t-il même révolutionné ce poste par sa capacité à accélérer le jeu. Le gardien du MHB, pur Montpelliérain, est aujourd’hui le meilleur au monde dans son style particulier.

« D’où te vient ce goût de la relance ?

J’ai très longtemps joué sur le champ, jusqu’à mon entrée au Pôle Espoir, et j’ai même continué un peu parce que je suis comme tous les gamins du monde : ce que j’aime avant tout, c’est marquer des buts, voir et sentir les filets bouger. Ensuite seulement, je me suis orienté vers les cages parce que c’est ce que l’on m’a recommandé et que je ne me débrouillais pas trop mal, semble-t-il. Mais si j’aime évidemment faire des arrêts, aider mes potes à marquer, parfois marquer moi-même me procure également beaucoup de plaisir.

Ce plaisir est-il justement identique lorsque tu offres une passe décisive, quand tu marques depuis ta zone, ou quand tu réalises une parade décisive ?

Je considère vraiment que l’action du gardien s’arrête après qu’il a lâché le ballon et seulement à cet instant-là. C’est-à-dire qu’il y a des moments où l’action va nécessiter de calmer, ce qui va nous permettre de célébrer l’arrêt ou de prendre le temps de récupérer le ballon, et d’autres où la continuité du jeu est nécessaire. Faire un arrêt et marquer immédiatement derrière, c’est la double peine pour l’adversaire. Mon plus grand plaisir, c’est justement de faire un arrêt et de le célébrer après que le but est marqué à l’opposé consécutivement à une relance rapide. C’est une sensation spéciale, jubilatoire.

Tu es d’abord considéré comme un gardien qui accélère sans cesse le jeu, sans doute le meilleur du monde pour la qualité, la spontanéité de tes relances. N’est-ce pas frustrant de n’être catalogué qu’ainsi ?

Non, au contraire. Le compliment me va même droit au cœur. Si l’on m’avait dit, quand j’étais gamin, que je deviendrais une référence mondiale sur l’un des gestes fondamentaux du handball, j’aurais signé des deux mains. Évidemment, j’aimerais qu’un jour on me dise aussi que j’étais l’un des meilleurs tout court. Mais c’est déjà une grande fierté d’être identifié comme l’un des spécialistes marquants du poste.

Comment travaille-t-on la relance ?

Je l’ai travaillée depuis tout jeune, dès que j’ai commencé à être gardien, à 14-15 ans. Mon profil physique ne ressemblait à aucun autre, il n’y avait aucun gardien dont je pouvais vraiment m’inspirer, et j’ai donc toujours su qu’il fallait que je fasse quelque chose de différent des autres. Très très vite, je me suis focalisé là-dessus. Concrètement, cela se matérialise par des heures et des heures d’entraînement, des centaines et des centaines de caddies de ballons à envoyer l’un après l’autre, d’un côté à l’autre du terrain, dans les cages, dans une poubelle. Lorsqu’il y avait des copains qui voulaient bien rester avec moi après la séance, j’envoyais ces mêmes ballons dans leurs mains lorsqu’ils étaient en pleine course. Je me suis également exercé sur une cible contre un mur, avec des ballons avec de la colle, moins de colle, sans colle, en sautant, en étant par terre, dynamique ou arrêté. Je suis d’autant plus fier d’être devenu efficace à cet exercice, que je ne pense pas que c’était inné chez moi. Mais j’ai voulu que ce soit mon point fort, et je n’ai jamais rien lâché pour qu’il le devienne.

Les changements de règles ont-ils eu un impact sur ta manière d’appréhender ce poste ?

Je me suis un peu plus recentré sur le tir but à but. Il paraît plus simple que certaines relances, alors qu’il est beaucoup plus compliqué finalement puisque la marge d’erreur est réduite avec la colle, la pression du match, et que c’est tout sauf évident de viser la cible à quarante mètres. Pour les nouvelles règles, je trouve qu’elles enlèvent plus de spectacle qu’elles n’en apportent réellement, mais c’est juste mon point de vue. Je me souviens qu’elles m’apportaient plus de plaisir au départ, alors qu’elles génèrent paradoxalement plus de frustration aujourd’hui.

Tu as toujours été joueur, jusqu’à évoluer sur le champ en équipe de France de beach par exemple. Jouer gardien peut-il s’apparenter à un acte manqué ?

Ce n’est pas un acte manqué, non. Depuis que je suis gamin, chaque fois que j’ai pratiqué un sport, j’ai rêvé d’être pro, de gagner des titres, d’être champion du monde… Jouer gardien, c’est une décision que j’ai considérée comme étant la meilleure pour parvenir à cet objectif de vivre de mon sport, de remporter des médailles. Oui, j’aurais beaucoup aimé être un joueur de champ, à n’en pas douter, mais si j’avais été un joueur de champ, j’aurais sans doute beaucoup aimé être gardien de but. En fait, j’aurais beaucoup aimé être handballeur professionnel et c’est ce que je suis. Comme je le dis souvent, dans nos contrats, il est écrit : joueur de handball professionnel, et non pas gardien ou ailier ou demi-centre.

Quelle est ta philosophie de ce jeu ?

Elle a pas mal évolué au fil des ans. Je crois qu’aujourd’hui, je dirais qu’il faut savoir garder en tête le jeu, au sens du plaisir qu’il procure, mais au sein d’un cadre préalablement déterminé. C’est ce cadre qui va te permettre de performer collectivement. Après, l’inspiration de chacun est un moyen de conserver une forme de légèreté indispensable à mes yeux.

Sais-tu combien de buts tu as inscrits en Championnat ?

Je crois que c’est 47.

Et en Coupe d’Europe ?

Non, je ne sais pas exactement.

16.

C’est pas mal…

Est-ce que le premier but, contre Hambourg, en 2012, n’est pas, finalement, celui qui caractérise le mieux le handballeur que tu es, ton état d’esprit ?

Ça m’aurait embêté de rester celui qui a mis un but de l’autre côté. On m’en a très souvent parlé, et je suis très content qu’on m’en parle aujourd’hui comme d’un épisode lointain et anecdotique. Oui, il y a tout dans cette action-là. Mais avant tout l’envie et l’insouciance du jeune de vingt ans que j’étais, qui vit un peu son rêve, à l’Aréna, devant 10 000 spectateurs, ses potes et sa famille, et qui croque sa chance. Mais après ce but, je suis sur le banc, parce que ma tête est plus dans les tribunes que dans le match. Avoir fait ça, à cet âge-là, pour tous ceux qui ont cru en moi, c’était fort.

Qu’est-ce que les 14 arrêts à 47 % lors du quart de finale de janvier dernier face à l’Allemagne ont changé, dans ton regard à toi, celui des autres aussi ?

Il crédibilise. Patrice (Canayer) a une phrase que j’aime beaucoup et qui dit que la confiance doit venir de nous-même, jamais de l’extérieur. Effectivement, j’avais toujours cette vision et cette confiance en moi qui faisaient que je m’en sentais, et que j’étais persuadé d’en être capable, mais quand même, ça enlève un beau sac à dos de pression quand on le montre aux yeux de tous et que ça tombe sur un match décisif. Ça change aussi pas mal de choses dans l’équipe, parce que l’on acte le fait que les copains peuvent vraiment compter sur nous dans les moments déterminants. Maintenant, une fois que c’est passé, on attend juste de le réitérer.

Étais-tu en quête de cette légitimité ?

Oui bien sûr. Je suis resté finalement quelque temps troisième en équipe de France avant de pouvoir m’exprimer au niveau international. J’avais cette sensation de tournant, de chance à saisir. À 30 ans, encore plus qu’à 20 ans. Il y avait aussi cette quête de renvoyer la confiance au staff et de faire honneur à l’opportunité qui m’était donnée. C’était un sacré moment.

Ton retour à Montpellier, après neuf saisons à Nîmes, était déjà un signe, non ?

Pour moi, ça a été une vraie bascule dans ma tête. Ça assoit quelque chose. Tu ne te retrouves jamais à Montpellier par hasard. C’est comme ça que j’entrevois ma carrière. Je coche des cases qui correspondent à ce que j’ai envie de faire, et jouer pour Montpellier, comme j’ai vu mes idoles, dont certaines sont devenues mes potes, le faire, c’en était une. Ce n’est pas des conneries de raconter que quand je mets ce maillot, là pour la séance photos, ou quand je vais au match, ou tous les jours à l’entraînement, ça me fait toujours quelque chose. Sur ce parking, je suis arrivé avec ma mère la première fois, mon grand-père, toute ma jeunesse, et maintenant j’y viens avec la voiture du club. Sans compter que jouer la Ligue des champions, prétendre à des titres, affronter les meilleurs adversaires constituent des atouts par rapport à la sélection.

On a souvent entendu que ton mètre quatre-vingt-deux était un frein à ton épanouissement au plus haut niveau international. Est-ce que ça a généré chez toi une forme de frustration, d’inhibition peut-être ? Est-ce aussi pour cela que tu as choisi de développer d’autres savoir-faire ?

Bien sûr. Oui, c’est pour cette raison que j’ai voulu me démarquer par d’autres savoir-faire et chercher des activités dans lesquelles je pourrais être vraiment meilleur que les grands, concrètement. Ensuite, comment dire… Ça fait plaisir de tourner la question dans ce sens parce c’est très important de dire que oui, ça a été très inhibant, compliqué dans ma jeunesse, mon adolescence d’entendre ça, de n’être considéré qu’au travers de ça. Aujourd’hui, ce dont je suis très fier, c’est que je ne suis pas le meilleur des petits, je ne suis le représentant de personne. Je reçois mille messages de jeunes qui me disent : je suis comme toi, je suis petit. Je leur réponds : non, tu es comme moi parce que tu es gardien. La route est difficile pour tout le monde, peu importe l’atypisme, et en y croyant fort, en mettant la dose de travail qui va avec, rien n’est impossible.

Cela a-t-il été à ce point difficile à vivre ?

Certains le vivent plus mal que ce que je l’ai vécu moi. Mais oui, c’est dur. Il a fallu déconstruire cette idée que ce n’était pas possible d’y arriver, que j’avais déjà de la chance d’être là où j’en étais. À un moment donné, j’ai arrêté de m’excuser d’être là. Ça ne paraît pas grand-chose, mais c’est déjà beaucoup.

Le message est donc : il faut tracer sa route…

Il ne faut pas se comparer aux autres, il faut tracer sa route, oui. Ça ne paraît pas grand-chose, mais c’est beaucoup. C’est peut-être ce message-là auquel je suis le plus attaché. Un message pour les formateurs qui avaient des idées préconçues en tête, et pour les jeunes inhibés par des croyances limitantes, quelles qu’elles soient. Il y a toujours un chemin… »

Journaliste Philippe Pailhories // Photographe Guilhem Canal

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